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16 – Télésexe et autres perspectives (suite) |
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« Maurice, je crois que le mélange de la cuve 6 refroidit trop tôt. » Superviseurs par téléprésence d'une future usine de produits chimiques Les ordinateurs peuvent être de fantastiques amplificateurs des facultés humaines, et l'informatisation peut être la source de toutes les aliénations. La réalité virtuelle sera-t-elle la forme ultime d'aliénation, ou bien peut-elle contribuer à faire diminuer l'aliénation déjà entraîné par les ordinateurs ? Pensons aux cas où la nature même de l'interface homme-machine, et non la mise à contribution de l'informatique en soi, a éloigné des gens de la vraie nature de leur travail. On empêchera pas l'informatisation progressive de toute la société. Mais nous pouvons influer sur la manière de traiter la « membrane » informatique qui nous entoure. L'avantage économique de l'informatisation garantit l'accroissement du nombre de systèmes commandés par ordinateur sur les lieux de travail. L'effet aliénant de l'interface — là où les gens sont en contact avec leur travail — est une question de nature à la fois humaine et économique que le cyberespace, de manière paradoxale, pourrait aider à traiter en redonnant aux gens un contact plus direct avec leur travail. L'industrie est un domaine où des applications cyberspatiales appropriées pourrait avoir de grands effets. Et lorsqu'un outil a un effet très positif sur des chaînes de production coûteuses et qui doivent être constamment concurrentielles, on met en général les moyens qu'il faut pour le faire évoluer rapidement. La conception, les bureaux d'études — qu'on peut considérer comme la « devanture » de l'industrie — sont des domaines où l'immersion visuelle en 3D, la téléprésence et la possibilité de manipuler des objets qui n'existent encore qu'à l'état de bases de données représente un avantage concurrentiel suffisamment net pour qu'on puisse envisager que la RV devienne l'interface standard en CAO. Quant à l'« arrière-boutique » de l'industrie, comme les fonderies, les unités de production de produits chimiques, etc., ils peuvent également bénéficier de ces effets. La conduite de processus industriels, par exemple, dont on entend peu parler mais qui est économiquement essentielle, a subi des effets secondaires bizarres à la suite de son informatisation, que des interfaces en RV pourraient supprimer. La conduite de processus est à la fois une science et un art, qui met en scène un ballet délicat, vital et parfois dangereux d'êtres humains et de machines. Nous ne prêtons pas grande attention à la manière dont elle est réalisée, mais ses résultats sont essentiels pour une grande partie de notre vie quotidienne, de celle des moulins à papier qui nous permettent de lire nos journaux à celle des raffineries pétrolières qui font marcher nos automobiles ou à celle des fonderies qui produisent l'âme des autoroutes sur lesquelles nous roulons, des ponts que nous traversons, et des immeubles que nous utilisons. La conduite de processus industriels était assurée auparavant par des experts, qui testaient par exemple la chaleur d'un four en en ressentant la température sur leur visage, ou qui appréciaient la couleur des mélanges de telle cuve, ou encore qui plongeaient la main dans la pâte à papier pour s'assurer de sa texture. Ces vingt dernières années, cependant, pratiquement toutes les usines pour lesquelles la conduite de processus joue un rôle majeur ont adopté des systèmes automatisés commandés par ordinateur. Ainsi les hommes ont-ils été privés du contact sensitif direct avec les produits, dépouillés de l'interactivité qu'ils avaient avec les processus. Dans son livre In the Age of the Smart Machine : The Future of Work and Power («L'âge de la machine intelligente : Avenir du travail et du pouvoir »), le spécialiste en sciences sociales Shoshana Zuboff, qui travaille à Harvard, indique de quelle manière l'arrivée des ordinateurs à changé le travail dans les usines et dans les bureaux. Dans le cas de la conduite de processus, Zuboff a détecté un type d'aliénation inquiétant. Des travailleurs qualifiés, qui avaient assuré la bonne marche de processus industriels pendant des années, se retrouvaient dans une situation où leur qualification était devenue inutile et où la nature de la nouvelle interface avec le processus les obligeait à se requalifier. Dans un certain nombre de cas, il semble que les sens et l'intuition humaine surveillent mieux les processus complexes que les ordinateurs très sophistiqués qui expulse ces travailleurs de l'atelier pour les placer dans des cabines de contrôle devant des écrans. Zuboff a interviewé des ouvriers d'une usine de production de papier qui était en train de passer à un système informatisé. Il a également enquêté dans le secteur des services, et a distingué l'émergence de nouvelles compétences inattendues mais nécessaires à l'adaptation des travailleurs à ce que Zuboff appelle un « environnement informaté ». Il écrit ceci à propos de cette usine de production de papier : Un des aspects fondamentaux de cette transformation technologique, éprouvé par les travailleurs et observé par les cadres, c'est une réorientation des moyens grâce auquel on peut avoir un effet tangible sur le monde. L'interaction physique immédiate doit être remplacée par un processus de réflexion abstrait au cours duquel les différentes options sont considérées, des choix sont faits et traduits dans les termes adaptés au système informatique en place. Pour beaucoup, l'action physique en est réduite au jeu des doigts sur le clavier d'un terminal. Comme le dit bien un des opérateurs, « On doit convertir sa mobilité physique antérieure en une capacité aux processus de réflexion. » Un cadre de cette usine ayant une longue expérience de la profession souligne les compétences spécifiques nécessaires dans un environnement hautement informatisé : « En 1953, nous rapprochions autant que faire se pouvait l'opérationnel et le contrôle. Nous faisions ce qu'il fallait pour qu'à toute modification apportée corresponde un changement visible. Avec l'arrivée de l'informatique, la commande et le contrôle sont centralisés et déportés par rapport au processus industriel lui-même. Si l'on n'a pas une compréhension claire du fonctionnement du processus, le travail devient plus difficile. On a besoin d'en savoir plus, car quand on commande à partir de l'ordinateur, on ne voit pas ce qui se passe réellement. Ainsi a-t-on besoin de nouvelles compétences mentales et conceptuelles. » Zuboff releva qu'il y avait une différence importante entre le type de connaissances « cause-à-effet » que les opérateurs chevronnés possédaient et le type de connaissances requises lorsque l'ordinateur fut installé : Dans des usines comme celles de Piney Wood et de Tiger Creek, où les opérateurs ont fait appel depuis toujours à des compétences manuelles, l'encadrement doit les convaincre d'abandonner un monde dans lequel les choses étaient immédiatement sues, complètement perçues, et directement modifiables pour un autre dominé par les données objectives, éloigné de l'action, et réclamant d'autres qualités de réaction. Dans ce nouveau monde, les interprétations personnelles comptent peu. L'ouvrier qui s'est jusque là appuyé sur une connaissance très poussée, quasi intime, de telle ou telle machine se sent perdu. Zuboff remarqua qu'un nouveau type d'apprentissage s'est imposé lorsque ces usines passèrent à la commande numérique, un apprentissage dans lequel « Les marteaux et les clefs ont été remplacés par des chiffres et des boutons ». À titre d'exemple de ce phénomène de perte de substance d'un métier donné, Zuboff citait cet extrait de l'interview d'un ouvrier de l'usine de Piney Wood ayant trente ans de service : « À chaque fois qu'on appuie sur un bouton, il faut avoir à l'esprit précisément ce qui va se produire. Il faut se représenter à quoi il correspond, son effet, et pourquoi il est nécessaire à ce moment-là. Quand on travaille à l'atelier, on sait les choses simplement par habitude. On les sait sans savoir qu'on les sait. Ici, il faut regarder des chiffres, alors que là-bas, on observe le processus lui-même. » La phrase « Il faut se représenter à quoi il correspond » est simple mais trompeuse. Pour pouvoir « se représenter » quelque chose, il faut des compétences ou des connaissances bien différentes des compétences « manuelles ». On ne veut pas dire par là que les compétences manuelles existent indépendamment de toute activité cognitive. On veut dire que les processus d'apprentissage, de mémorisation et d'exercice de compétences manuelles ne réclament pas de conscience explicite des connaissances auxquelles ils correspondent. L'utilisation de repères physiques n'exige pas de capacité d'inférence ; l'apprentissage de tâches de type manuel est en général plus analogique qu'analytique. À l'inverse, les repères abstraits fournis par l'interface homme-machine exige un travail de raisonnement par inférence, notamment aux premiers temps de l'apprentissage. Il est nécessaire de faire un effort pour tirer du sens de ces repères : en quoi sont-ils liés à ce qui se passe « en vrai » ? Rendre la mobilité et l'usage du corps, des mains, de la peau, des yeux, des oreilles, bref de tous les canaux d'information propres à nos processeurs biologiques pourrait « réhumaniser » le travail des ouvriers « informatés » des usines chimiques et des aciéries du monde entier. Il reste à voir si une modélisation utilisable de processus vraiment complexes, comme le raffinage de pétrole, peut être obtenue et testée dans le cyberespace. Et si de tels systèmes de commande en RV de processus industriels peuvent être réalisés, il reste à voir s'il s'agira effectivement d'une réinjection d'« humain » dans l'industrie ou d'une nouvelle étape dans la robotisation croissante de l'espèce humaine. L'enjeu est cependant suffisamment important pour qu'on puisse penser que certains sont déjà en train d'avancer dans cette voie. Lorsque j'étais à Londres, je rendis visite à Kees van der Heijden, un spécialiste de la planification stratégique au Shell Centre, un immeuble sans charme situé en face du Parlement, de l'autre côté de la Tamise, qui abrite une société qui fait 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an. Il se montra fort intéressé par l'idée de combiner le concept de visite virtuelle et celui de simulation même grossière de conduite de processus. « Nous dépensons beaucoup d'argent pour réaliser des maquettes de nos raffineries avant d'investir des milliards de dollars dans leur construction. Si nous pouvions réaliser des modèles informatiques qui nous en disent plus sur la manière de procéder, à un coût moindre que nos maquettes actuelles, nous serions certainement intéressés par la chose », dit van der Heijden. Il confirma également une chose que j'avais lue sur le réseau : que Bechtel, l'entreprise qui a réalisé le barrage Hoover, les premiers réacteurs nucléaires, et le port de Doubaï, s'intéressait très sérieusement à la RV. Et d'un point de vue financier, ça se comprend. Les sociétés de cette taille ont déjà investi beaucoup d'argent dans leur infrastructure informatique. Si un système « frontal » relativement coûteux peut leur permettre d'exploiter la puissance informatique très coûteuse dont ils disposent déjà pour en tirer de meilleures décisions, on peut être assuré, au moins dans les applications haut de gamme, du développement régulier de la RV. L'industrie repose sur la technologie, mais est mue par la finance, ce qui m'a amené à réfléchir à un concept qui peut paraître ésotérique ou futuriste, mais qui changera le monde peut-être plus vite qu'on ne le croit : la visualisation financière, c'est-à-dire l'utilisation de la RV, en conjonction avec des modèles économiques et des informations en temps réel sur les transactions financières, pour permettre de mieux appréhender des flux économiques de plus en plus globaux et complexes. L'opérateur de télétype doit tenir compte d'une multitude de détails physiques et méthodologiques, mais cette tâche prend vite le rang de quasi-réflexe. L'argent circule par à-coups, et coule alternativement goutte à goutte ou comme un torrent selon le rythme des prises de poste et celui des ouvertures des banques du monde entier. Aux heures de pointe, il faut deux opérateurs rodés pour éviter que le flux de papier imprimé enfouisse la machine elle-même, et pas moins de dix ou douze personnes sont nécessaires pour retransmettre les informations. Le long ruban de papier s'amasse en tas et serpente à même le sol, dans l'attente du traitement et de la retransmission, qui entraîne à son tour la création de rivières papetières chez les correspondants. Les bobines de papier sont changées en un clin d'œil, manière « d'arrêt au stand » dans le cadre d'une course automobile sans fin. Au bout d'un moment, je me sentis pénétré du gigantisme de ces rythmes économiques ; j'avais littéralement l'impression de sentir battre le pouls du commerce mondial. Howard Rheingold Le sexe, la drogue, les armes, l'industrie, la science, la médecine ; et l'argent dans tout ça ? Comme on s'en doute, le cyberespace incube également au sein du monde de la finance internationale, loin de celui des visiocasques et de la représentation en 3D. J'ai rencontré les premiers agents de change, opérateurs et autres conjoncturistes qui espèrent s'y plonger dès que cela sera possible, par l'intermédiaires d'interfaces de RV avec les données financières en temps réel. Le lien entre RV et gros sous est parfaitement naturel quand on sait combien la communication télématique a modifié fondamentalement la nature des opérations financières, presque sans qu'on y prête garde. Le concept de flux d'information économique à l'échelle mondiale n'est plus à conjuguer au futur ; la plupart des économistes conviennent que les bases mêmes du gain financier ont changé de manière à la fois subtile, profonde et irrévocable au cours des trente dernières années en raison du mariage progressif des transactions financières, des ordinateurs et des circuits de communication mondiale. Une autre convergence — ou collision — en cours est celle des systèmes de transaction et des systèmes de représentation. J'ai senti pour la première fois cette virtualisation électronique de l'argent à son début, au milieu des années 70. Les vicissitudes du journalisme freelance m'avaient conduit à la salle des transmissions de la Bank of America, qu'on appelait alors le « Central télégraphique », comme opérateur de télétype.[6] Le souvenir de cette expérience revint me hanter lorsque j'interviewai plus récemment certains experts pour mieux comprendre la métamorphose actuelle de l'argent. Voici comment je décrivais mon travail d'alors dans un article paru en 1976 dans le San Francisco Chronicle : [NdT 6] Ancêtre des terminaux d'ordinateurs comportant un clavier et un rouleau de papier sur lequel est imprimé le dialogue avec l'ordinateur. J'ai été opérateur de télétype au « Central télégraphique », goulot d'étranglement humain et suranné dans le cours des échanges financiers internationaux. Comme on était en train de remplacer les opérateurs de télétype de la Bank of America par des terminaux aux allures futuristes remplis de silicium et de circuits intégrés, mes collègues et moi-même étions donc voués à être les derniers relais humains de ces flux monétaires. Pour un opérateur de télétype de la vieille école, l'argent n'est ni plus ni moins qu'un message envoyé par un banquier à un autre. C'est toujours vrai aujourd'hui, mais c'est la technique de transmission qui a changé. Ce qui ne m'apparut pas à l'époque, c'est que cette nouvelle technique de transmission allait changer la nature même des choses. Il allait bien être question d'argent, de messages, de télétypes et de systèmes de transactions automatiques lors de mon entretien avec Peter Schwartz sur le rapport entre la RV et l'organisation des flux financiers mondiaux. Nous étions l'un et l'autre impatients de nous rencontrer : ce que je savais de la RV l'intéressait, et j'étais curieux quant à moi de ce qu'il pourrait me dire sur l'avenir de l'économie mondiale. Schwartz a été le directeur du Strategic Environment Center au Standford Research Institute, connu aujourd'hui sous le nom de SRI International, leader des cabinets de prévisions économiques. Lui et ses collègues apportaient aux patrons une aide à la décision en leur faisant mieux percevoir les éléments primordiaux et les aires d'incertitudes critiques dans leur secteur, grâce à des « scénarios » constituant autant d'expériences de prospective sur leur affaire. En quittant SRI, Schwartz devint grand spécialiste en stratégie pour la Shell, puis par la suite pour le Stock Exchange de Londres, qui était alors en cours de « dématérialisation ». C'est en 1986 qu'eut lieu le « Big Bang » : en l'espace d'une nuit, la « corbeille » de la Bourse de Londres fut remplacée par un réseau de dizaines de milliers de terminaux placés chez les agents de change du monde entier. Le London Stock Exchange devenait l'International Stock Exchange et se spécialisait désormais dans le transport de l'information. Schwartz aime bien vous accueillir d'une phrase à la fois juste et surprenante, complétée d'un petit sourire ; on dit de lui qu'il est « un mélange de sorcier et de barman ». Il aime également parler du futur, et évoquer par là les changements qui affectent notre monde. « Les flux d'argent à travers les réseaux de communication mondiaux ont déjà contribué à créer une sorte de cyberespace », fait-il remarquer. De fait, il est à la fois amateur et ami de William Gibson, dont il trouve la vision du futur « fascinante et détestable ». « Un chiffre suffit à montrer le point auquel nous en sommes arrivés », dit-il comme pour aiguiser l'attention de son interlocuteur. « Les transactions des marchés monétaires internationaux ont atteint un total de 87 000 milliards de dollars en 1986. Cela représente vingt-trois fois le produit national brut des Etats-Unis, et plusieurs fois le produit planétaire brut. La valeur des monnaies n'est plus déterminée par l'importance du commerce qui s'y rattache, ni par aucune activité réelle normalement associée aux économies des pays industrialisés. Le commerce ne représente que 10% de ces 87 000 milliards de dollars. Tout le reste est engendré par ces transactions électroniques. » Peter Schwartz estime que l'argent est devenu aujourd'hui une espèce de message, comme je le subodorais en 1976. Ce dont je ne me doutais pas, en revanche, c'est que l'argent-message écraserait largement les formes d'argent plus traditionnelles et contribuerait à créer un nouveau type de richesses que nous commençons seulement à appréhender. Schwartz poursuivit son exposé en évoquant les origines de ce phénomène. « Ce nouveau type de richesses — des montants énormes, fluides, à transfert rapide, fondé sur la communication et non plus sur les métaux précieux, les armements ou la production industrielle — est apparu au cours des vingt dernières années en raison de plusieurs facteurs liés. D'abord, les taux de change entre les diverses monnaies ont perdu leur stabilité lorsque les accords de Bretton Woods ont été abrogés en 1971. Ces accords, qui dataient des années 40, avaient instauré des mécanismes relativement lents d'ajustement des monnaies entre elles. En 1971, avec leur disparition, il devenait possible de gagner des sommes énormes sans aucun risque en se contenant de convertir des sommes encore plus énormes d'une monnaie en une autre ; ce processus a été encore facilité par l'apparition des communications électroniques. » Le passage des télétypes aux ordinateurs communicants fut en effet un facteur clef de cette évolution : « L'argent représente une forme d'accord. Au niveau le plus élémentaire, cet accord est présent à l'esprit de tous ceux qui utilisent une monnaie. Au niveau international, l'accord est un peu plus complexe, puisqu'il ajoute à ce consensus social et psychologique l'influence des règlements nationaux et internationaux, de marchés variés et de la forme que prennent les transactions. Sur ce dernier point, les transactions sont désormais nouées par la communication, qui elle-même est en perpétuelle évolution. » Au cours des dix dernières années, les salles de transmission de tous les principaux acteurs du monde de la finance international ont vu leurs télétypes remplacés par des systèmes de communication informatisés. Des ordinateurs envoient des impulsions électroniques codées via le réseau téléphonique public, des lignes louées, des fibres optiques, des liaisons hertziennes ou par satellites, et d'autres canaux de l'infrastructure mondiale de télécommunication. Avec ce nouveau système, l'argent-message est acheminé à la vitesse de la lumière, considérablement plus élevée que celle liée aux télétypes et à leur cohorte d'opérateurs chargés de prélever, de plier, d'agrafer des messages papier et de les retransmettre. « Donc, le remplacement des télétypes par les ordinateurs a considérablement accru le débit auquel les messages financiers peuvent être envoyés et reçus », résume Schwartz. Cette avancée technologique eut lieu, de surcroît, au moment même où les transactions monétaires internationales à grande échelle étaient libérées : « Cette mutation technologique se conjugua à de nouveaux accords internationaux pour donner un élan décuplé aux échanges financiers. Les différents choix possibles furent instantanément multipliés, tout comme la difficulté d'en assurer ensuite le suivi ; ceci entraîna l'apparition de systèmes informatiques adéquats, contribuant eux-mêmes à une complexité accrue de l'ensemble. En conséquence, l'économie mondiale et les économies locales qui adoptent ce système ont changé de manière qualitative et fondamentale. Nous commençons à peine à comprendre le fonctionnement de ce nouveau système, qui n'a pas été créé de volonté délibérée, mais par la capacité des différents acteurs à tirer parti d'une situation technologique et réglementaire nouvelle. » Schwartz fait aussi remarquer que Wall Street et Hollywood sont les deux principaux « clients » de ces nouvelles technologies de l'information : « Le monde de la finance est le plus gros utilisateur privé de ces technologies. Juste derrière lui, on trouve l'industrie mondiale du loisir. Près de la moitié de la population du globe a moins de vingt ans, et s'il n'ont pas déjà tous un baladeur à cassettes, cela ne saurait tarder. La demande pour les œuvres de divertissement enregistrées semble être inépuisable et n'est pas liée aux cycles économiques. Avec l'arrivée des disques laser, de la TV par câble et par satellite, de la TV haute définition et des micro-ordinateurs pleinement graphiques, cette révolution va prendre de l'ampleur. La finance, le loisir et l'enseignement sont des marchés d'importance stratégique pour lesquels la demande est grande et qui seront les marchés à forte croissance de ces nouvelles technologies. » Selon Schwartz, c'est le niveau de complexité atteint par cette économie de l'information à l'échelle mondiale qui appelle naturellement la RV. Il connaît déjà les théories d'Engelbart, le concept d'outils d'amplification des compétences, et sait pertinemment combien nous avons besoin de nouvelles méthodes d'appréhension de cette complexité. Après avoir contribué à l'informatisation de la Bourse de Londres, Schwartz est tout particulièrement intéressé par les technologies en gestation qui pourraient amener des changements majeurs. « La RV est exactement le genre de technologie nouvelle que je recherche pour le compte de mes clients et pour satisfaire ma propre curiosité » déclare-t-il. « Après en avoir entendu parler, je suis entré en contact avec Jaron Lanier et en ai fait moi-même l'expérience. Je me suis rendu compte qu'il s'agit d'une suite logique à l'évolution de l'informatique et à cette nouvelle notion d'économie de l'information à l'échelle mondiale. Les transactions sur terminal ont été développées largement, notamment par Reuters, et il m'est immédiatement apparu que ce pouvait être simplement une étape vers les transactions en RV. » En d'autres termes, les agents de change et les banquiers, voire même le particulier qui boursicote pourraient un jour participer à une espèce de jeu vidéo mondial en temps réel dont les conséquences financières seraient bien concrètes, de même que les militaires qui utilisent SIMNET jouent d'un autre jeu vidéo aux conséquences significatives. J'ai également rencontré, à la conférence d'Austin sur le cyberespace, un représentant d'American Express qui se disait intéressé par le concept de visualisation financière. Et dans un article paru en octobre 1990 dans le New York Times et intitulé Coming Soon: Data You Can Look Under and Walk Through,[7] Andrew Pollack mentionnait le professeur Steven Feiner, de l'Université de Columbia, qui travaille sur « des outils similaires destinés à la visualisation de l'information » et fait appel à un gant VPL et à des lunettes à obturateurs électroniques pour « pénétrer le monde de l'ordinateur et manipuler des graphiques en 3D. » Dans le même article, on précise que Citicorp finance des expériences de « représentation de portefeuilles d'options sous la forme de structures en 3D pour aider les négociants en options à visualiser l'influence de certains facteurs sur la valorisation des portefeuilles. » [NdT 7] « Se promener à travers les données, les examiner par en dessous : C'est pour bientôt » Schwartz voit déjà les agents de change cybernautes du futur voler à travers des paysages qui seraient les représentations en temps réel et en 3D des transactions boursières du monde entier. La qualité de la programmation (de l'intégration) des éléments clefs d'un tel paysage économique évolutif, et la compétence avec laquelle les agents de change s'en serviront pour prendre leurs décisions, donneront à telle ou telle firme un avantage compétitif décisif. Ces lanternes magiques — des logiciels de visualisation financière en 3D développés en interne qui permettront de distinguer clairement les options débouchant sur de gros profits ou au contraire sur de gros « bouillons » — seront des secrets jalousement gardés. Un tir dans le mille dans un environnement de visualisation boursière peut marquer le déclenchement d'une grosse transaction en Marks ou en Pétrodollars. Une expédition en forêt, la capture d'un serpent et son ingestion marqueront peut-être le scénario choisi par les dirigeants de demain pour commander l'absorption d'un concurrent. Il est un peu tôt pour savoir qui, de Disney ou de Penthouse, du Pentagone ou de Wall Street, de Hollywood ou de Sony, des industriels de l'informatique ou de ceux des télécommunications, voire d'autres, occuperont les positions dominantes de cette industrie naissante de la RV. Mais il est hors de doute que dans tous les domaines, la capacité à observer et à s'adapter, et celle à réagir de manière souple à des situations de plus en plus complexes et incertaines seront des atouts de plus en plus importants pour la survie. Il est fort possible, comme me l'a suggéré Peter Schwartz, que dans ce contexte, l'enseignement connaisse une croissance importante. « Les individus et les pays qui apprennent à apprendre ont plus de chances de réussite dans le monde « informaté » des décennies à venir », suggère-t-il. De même que le sexe, le travail, la guerre, le loisir, la science et le commerce, l'enseignement pourrait bien être le domaine de changements éminemment positifs. L'enfant, comme l'adulte, a besoin de ce que nous appelons en Allemand Spielraum. Il ne s'agit pas vraiment d'une « salle de jeu ». C'est vrai que le mot a aussi ce sens, mais sa signification première est « marge de manœuvre, espace vital », un espace où déployer non seulement ses membres mais aussi son esprit, un espace où faire des expériences à volonté, où mettre en jeu des idées. Bruno Bettelheim Si vous étiez pris(e) de l'envie de vous changer la vie pour moins de 100 Francs, entrez dans un magasin de jouets et achetez une boîte de jeu de construction simple, de celles qui contiennent une série de petites briques identiques à empiler ou à lier. Cachez-les dans le tiroir de votre bureau, et lorsque vous ressentirez le besoin d'une stimulation créative, sortez-les, asseyez-vous à même le sol, et…jouez. N'oubliez pas, quand même, de fermer la porte de votre bureau à clef, car le « jeu », dans notre culture, est l'objet de certains tabous. Je suis souvent choqué de constater que de nombreux parents ne s'assoient jamais par terre avec leurs enfants pour jouer. Et pourtant, le jeu est peut-être la réponse à l'une des questions majeures soulevées par la réalité virtuelle : quelle est notre finalité d'êtres humains ? Le jeu est depuis longtemps antonyme de « travail », et c'est sans doute de là qu'il tire sa mauvaise réputation. Depuis l'époque où John Calvin a lié travail et salut, jouer a toute l'apparence du péché. Tout travail créatif, cependant, implique un savant mélange de jeu et d'activité dirigée. Pour autant qu'on n'en ait pas une vision trop productiviste, le jeu constitue notre outil de réflexion le plus important, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de rénover nos modes de pensée. Le paléontologue John Pfeiffer s'est intéressé aux origines du jeu et à son lien avec l'évolution de la culture. Ses observations sont l'écho de sentiments intuitifs qu'éveille en moi la RV, dont il n'a probablement jamais entendu parler : L'art semble être issu du jeu, par un processus de dérivation typiquement humain. L'un et l'autre englobent les mêmes ingrédients : l'imitation, le « faire semblant », un soupçon de rêve, la liberté d'improviser, d'inventer de nouvelles règles, d'en supprimer, de surprendre. Mais cette relation, même si elle apparaît comme plausible et si elle a été notée fréquemment dans le passé, suscite plus de questions qu'elle n'apporte de réponses, notamment parce que le jeu est une activité complexe et mal comprise. Le mot en lui-même est trompeur. Il évoque l'inutile, le futile ; et pourtant, tout ce que nous savons de l'évolution indique qu'il est à prendre tout à fait au sérieux. Le jeu est une activité relativement neuve. Il est apparu après 4,3 milliards d'années de non-existence, aux temps reculés où la surface de notre planète ne consistait qu'en un seul grand océan bordant une seule masse de terre immergée commençant à peine à se scinder en continents. Il est apparu il y a quelque 200 millions d'années avec l'arrivée des mammifères... Son importance a dû être grande au cours de l'évolution plus récente, d'autant plus qu'il comporte un certain nombre de désavantages. Le jeu implique en effet une déperdition d'énergie qui pourrait être mieux employée à rechercher de la nourriture, à se reposer ou à engager des relations sociales moins intenses ; il entraîne souvent des blessures importantes, par chute ou par collision (pierres ou arbres, par exemple). De plus, les jeunes animaux peuvent être absorbés par leurs jeux au point de devenir imprudents et beaucoup plus vulnérables aux prédateurs. Pour contrebalancer tous ces risques, le jeu doit déboucher sur un profit important en terme de survie : entraîner aux vrais combats et aux tactiques de fuite, promouvoir l'amitié et la coopération entre individus destinés à vivre longtemps ensemble. Si l'on remonte assez loin dans la bibliographie connue sur le jeu, on rencontre Johan Huizinga, recteur de l'Université de Leyde, aux Pays-Bas, qui a publié en 1938 le livre Homo Ludens (« L'homme, ce joueur »). Huizinga a examiné le jeu sous différents aspects — philologique, mythologique, anthropologique, psychologique — et en est arrivé à peu près aux mêmes conclusions que les spécialistes en sciences cognitives d'aujourd'hui. Le jeu, et plus particulièrement le jeu symbolique, est le lieu de rencontre de la culture et de la cognition. C'est une sorte d'ouvre-boîte mental destiné à libérer de nouvelles idées. C'est également la première activité à laquelle se livrent ceux qui se trouvent immergés dans un monde virtuel. Huizinga avait essayé de comprendre pourquoi le monde chrétien du Moyen âge avait conservé des aspects culturels archaïques comme les codes d'honneur, l'héraldique, les ordres de chevaliers, etc. Il découvrit qu'il s'agissait là de vestiges de rites d'initiation primitifs, de jeux sacrés que l'on utilisait pour leur aspect ludique ou pour leur sens profond et parce que, d'après lui, le jeu était un instrument de création culturelle. Ce n'est que tout récemment que les psychologues se sont intéressés au rôle du jeu dans le développement du jeune enfant. Lorsque Piaget révolutionna la psychologie du développement de l'intelligence en étudiant ses propres enfants et d'autres se livrer à diverses formes de jeu, des psychologues apportèrent leur contribution à cette étude du jeu en tant qu'élément majeur du développement cognitif, social et émotionnel de chacun. Pour résumer grossièrement leurs découvertes, ils s'aperçurent que le jeu est un moyen de structurer notre vision du monde et de nous-mêmes, de confronter au réel des hypothèses que nous formulons sur le monde extérieur et sur notre personne, et de discerner de nouvelles relations et des traits récurrents à travers le fouillis de nos perceptions. Le jeu, comme les scénarios de Peter Schwartz sur l'avenir de telle ou telle entreprise, est une manière de prévoir le futur, de pratiquer des simulations mentales. Voyons les choses sous cet angle : le jeu est une simulation informatique qui s'exécute dans nos têtes. « Et si j'empilais ces briques le plus haut possible ? » « Je me demande ce que ça donnerais si je mélangeais toutes les épices qui se trouvent dans le placard de la cuisine. » « Ce n'est pas une caisse en carton, c'est un château. » Le jour où ma fille, à l'âge de dix-huit mois, porta un hochet à la bouche de son nounours pour lui « donner le biberon », j'ai senti qu'il se passait quelque chose d'important. Elle apprenait à se servir d'un objet pour en symboliser un autre. Elle apprenait à schématiser de l'information sur un mode nouveau : en faisant appel à ses souvenirs d'expériences passées pour représenter une expérience nouvelle. Elle jouait de son esprit. Jouer avec des idées, « faire semblant de », imaginer l'issue de telle ou telle situation, tout cela n'est pas seulement l'apanage des enfants. Vous travaillez dans la communication, vous êtes un décideur, un ingénieur, un artiste, un homme d'affaires et pour chacune de vos créations, dressez-vous d'abord un plan que vous suivez ensuite à la lettre ? Ou bien, au contraire, commencez-vous d'emblée à manipuler idées ou matériaux jusqu'à ce qu'un certain ordre s'en dégage ? Si vous appartenez à cette seconde catégorie, vous avez probablement fait l'expérience des quolibets et des allusions de vos collègues à l'esprit plus analytique ; mais vous savez également qu'ainsi vous êtes capable d'inspirations au pied levé que ceux qui planifient soigneusement leurs tâches ne connaîtront peut-être qu'après des années d'effort conscient. L'anthropologue Claude Lévi-Strauss, en parlant de l'élaboration de théories par les cultures « primitives » dans des domaines empiriques, fit appel au mot bricolage pour nommer le modèle de construction de théories scientifiques par les sociétés « primitives » ou « civilisées » à partir d'objets naturels en combinaisons diverses. Un bricoleur, dans cette acception, est un technicien intuitif qui joue avec les concepts et les objets pour en apprendre sur ceux-ci. Cette notion nouvelle replace l'étude et le développement de supports d'enseignement dans un cadre proche de celui de nos lointains ancêtres. Le mot a été repris par l'informaticien et pédagogue Seymour Papert. Dans son livre Mindstorms, celui-ci fait remarquer combien le terme peut déboucher sur un système de pensée global : Il s'agit bien de quelque chose de l'ordre du bricolage ; apprendre consiste d'abord à se doter d'un ensemble de matériaux et d'outils à manipuler. Le cœur du concept est même de « faire avec ce qu'on a ». Nous pratiquons tous consciemment cette méthode lorsque nous nous attaquons à un problème de façon empirique, en appliquant d'abord toutes les solutions dont nous connaissons l'efficacité passée sur un problème similaire. Je veux suggérer ici que « faire avec ce qu'on a » est symbolique d'un processus d'apprentissage plus profond, quasi inconscient. [...] Je veux suggérer ici qu'au niveau le plus fondamental, et en tant que nous apprenons, nous sommes tous des bricoleurs. On pourrait faire le même type de proposition aujourd'hui à propos du cyberespace. Papert, qui est l'un des fondateurs du département de recherche en intelligence artificielle au MIT, utilise le terme de « micromondes », qui recouvre un concept alliant théories de l'enseignement et possibilités de simulation par ordinateur, micro-ordinateurs et même réalité virtuelle. Papert a passé cinq ans en Suisse avec le psychologue du développement Jean Piaget. Ce dernier a provoqué une révolution dans l'étude des mécanismes d'apprentissage en passant plusieurs dizaines d'années à observer la manière dont les enfants apprennent. Il en conclut qu'apprendre, ce n'est pas seulement quelque chose que les parents imposent à leurs enfants à travers l'école et les professeurs, mais qu'il s'agit d'un aspect fondamental de la manière dont les enfants réagissent instinctivement au monde, et que ceux-ci élaborent leur compréhension des choses par étapes structurées, en fonction des éléments qui sont à leur disposition. Les processus mentaux auxquels ils font appel dans cette élaboration intellectuelle vitale sont leurs outils. Ceux-ci, qui comprennent l'expérimentation et une curiosité systématique aussi bien que l'alphabet et la table de multiplication, sont des éléments essentiels de l'apprentissage. Piaget était particulièrement curieux de savoir comment les enfants acquièrent différents types de connaissance, et il conclut que les enfants sont des chercheurs scientifiques, c'est-à-dire qu'ils font des expériences, formulent des théories, puis confrontent ces théories à de nouvelles expériences. Nous autres adultes appelons cela « jouer », mais pour les enfants, il s'agit d'une forme de recherche vitale. Papert estima que la réactivité et la capacité de représentation des ordinateurs pourraient permettre aux enfants d'élever leurs recherches à un niveau impossible à atteindre avec un simple tas de sable ou un tableau noir. Mais l'interface homme-machine devait être repensée en une interface enfant-machine pour que les très jeunes enfants puissent tirer parti de ces possibilités. Par convergence, pensait Papert, l'évolution de ces interfaces et l'apparition de nouvelles théories de l'apprentissage pouvaient déboucher sur un outil d'enseignement entièrement nouveau. Il s'agit là de tout autre chose que de l'« ordinateur à l'école » dont l'échec a marqué les années 60 à 80. Dans Mindstorms, Papert indiquait : Pour simplifier, je suggère que l'ordinateur peut concrétiser (et personnaliser) le formel. Vu sous cet angle, ce n'est pas seulement un outil pédagogique puissant. C'est un moyen unique de résoudre le problème dont parlait Piaget, celui du passage du mode de pensée enfantin au mode de pensée adulte. Je crois qu'il nous permet en effet de déplacer la frontière entre le concret et le formel. Des connaissances qui n'étaient auparavant accessibles que par processus formel peuvent être aujourd'hui approchées de manière concrète. Et le plus beau, c'est que la connaissance ainsi acquise contient en elle-même les éléments qui permettent de développer une pensée formelle. Apparemment, Nintendo Corporation, qui a déjà diffusé ses simulateurs à l'apparence de jeux vidéos dans un foyer américain sur cinq, trouve un certain mérite aux idées de Papert. En 1990, le président de cette entreprise a en effet annoncé à Kyoto qu'une bourse de trois millions de dollars lui était attribuée pour poursuivre au Media Lab ses travaux sur les outils d'amplification pédagogique et ses études sur le lien entre apprentissage et jeu. R. L. Gregory, spécialiste de la perception visuelle, domaine a priori éloigné de la psychopédagogie, a également noté l'importance du jeu pour l'apprentissage mais aussi pour nos mécanismes perceptifs : Un projet de type « Exploratoire » consiste à amplifier l'expérience directe et à élargir son champ pour enrichir la perception et la compréhension des enfants et des adultes. L'efficacité d'une approche de l'enseignement par les travaux pratiques a été mise en doute. Mais quelle que soit l'opinion qu'on peut avoir à ce sujet, il est patent que capturer l'attention, l'intérêt du sujet est un impératif primordial pour l'efficacité d'approches plus formelles. On a du mal à croire que l'enseignement doive absolument être quelque chose de très sérieux ; il est bien plus vraisemblable que le jeu possède une importance vitale pour aider les primates à apprendre à exister dans le monde qu'ils découvrent. L'observation d'enfants ou d'adultes pratiquant cette découverte individuelle par le jeu et l'expérimentation est une chose fascinante. Bien qu'il faille étayer cette impression par des recherches plus poussées, on a le sentiment qu'ils apprennent et développent leur pensée par l'action. Comme le note Gregory, il faudra encore beaucoup avancer avant qu'on puisse dire si la RV peut constituer cette aire de jeu magique où enfants et professeurs feraient directement l'expérience de mondes simulés portant sur l'histoire ou les sciences naturelles mais Frederick Brooks lui aussi avait fait allusion au point de vue du pionnier américain de la pédagogie, John Dewey, en parlant d'« apprentissage par l'action » pour résumer le potentiel éducatif de la RV. Et si l'on pouvait arriver à concevoir des micromondes pédagogiques qui auraient la forme des salles de jeu virtuelles que suggèrent Jaron Lanier et Randal Walser ? Pour ceux qui se demandent pourquoi les enfants adorent les jeux vidéo et détestent l'école, et qui s'interrogent sur le sens de cette attitude, l'avenir du secteur commercial de l'enseignement par outils électroniques sera instructif. Si les possibilités de représentation de la RV s'accroissent, et si une équipe de talent comme Ann McCormick et Warren Robinett, qui créèrent Rocky's Boots et d'autres logiciels éducatifs dans les années 80, ou Brenda Laurel et Scott Fisher, qui ont fondé Telepresence Research en 1990, se voit doter des moyens de créer des « mondes enseignants », le concept de « l'ordinateur pour apprendre » pourrait enfin s'avérer autre chose qu'un échec. Certaines choses sont peut-être en train de s'améliorer en Amérique et dans d'autres pays industrialisés, mais ce n'est certainement pas le cas de l'enseignement.[8] Peut-être la technologie et le commerce peuvent-ils réussir là où l'enseignement public a échoué. Si les jeux vidéo préparent le terrain d'une technologie future de l'enseignement en RV, c'est peut-être en n'ayant pas accès à ces technologies de l'apprentissage par expérience directe que l'on pâtira d'un déficit d'éducation. Celui qui n'aura d'autre ressource que de fréquenter des écoles publiques détériorées et dont les parents ne pourront pas payer les compléments pédagogiques de Nintendo ou autres Fujitsu sera-t-il condamné à rejoindre les rangs des déshérités de l'âge de l'information ? [NdT 8] Au moins aux Etats-Unis. Les effets de la RV s'étalent dans tant de domaines différents, disciplines scientifiques, applications commerciales potentielles, conséquences sociales, que son sens global est difficile à saisir. Nous devons en définir, comme dirait Douglas Englebart, le cadre conceptuel. Pour ce faire, un cours retour dans le passé peut aider à dégager des lignes directrices pour le futur. |
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