Épisode Trois 1979
Mes aventures avec Olive et les débuts de Lili Drop à 4









17 janvier 2006

Adieu Olive !










J’ai rencontré Olivier Caudron en septembre 1973. Ce n’était pas lui qu’on attendait ce jour-là, avec mon partenaire musicien Louis Bertignac, dans l’appartement de ses parents, rue Gustave-Flaubert. Le groupe de rock que nous formions depuis un an avait besoin d’un nouveau guitariste rythmique (voir Episode 1, Rockin 70-77) et Louis connaissait un candidat tout indiqué, un certain Jean-Louis Aubert, avec qui il croisait le manche de guitare depuis quelque temps déjà autour du lycée Carnot. Jean-Louis avait donc débarqué cet après-midi-là pour que je fasse sa connaissance et qu'on voie si on était tous d'accord sur ce qu'on voulait faire. Et il n'était pas venu seul, mais avec cet ami pas tout à fait comme les autres, au visage métissé d’Indochine, à la fois gracieux et un peu étrange.

La discussion entre Jean-Louis, Louis et moi avait été rapide : Aubert avait la dégaine et la patte de rocker qu’il nous fallait. Je l’avais trouvé tout de suite sympa, plutôt marrant et capable, et il ne fallut pas plus d’une demi-heure pour qu'on ait la conviction que notre groupe allait bien s’éclater dans les mois à venir. Louis et Jean-Louis étaient alors partis dans une discussion de guitaristes et j’en avais profité pour m’intéresser un peu plus à cet Olivier qui m’intriguait. À un moment — c’est l’image très marquante de cette journée qui me reste —, il s’était glissé derrière le voilage translucide de la fenêtre de la chambre de Louis pour me solliciter un peu mystérieusement du regard, jouant d'emblée sur la séduction.

Cette attitude à la fois crue et délicate, provocante et sensible était précisément de celles qui étaient le plus à même de me toucher. Ce simple jeu de quelques minutes avec un élément du décor en disait déjà beaucoup : que la séduction, le contact entre individus ne doit pas nécessairement s'arrêter à la différence ou l’identité de sexe, que chaque occasion de contact, d'affection, de désir peut être saisie, qu'il n’y a pas de différence de nature entre amour, amitié, affection — toutes choses en lesquelles je croyais plus ou moins clairement aussi.

4 Garçons dans le Bronx

10 mois plus tard, après un certain nombre de concerts d'un groupe qui s'appelait désormais Korange et de bœufs et fêtes en tous genres (sans oublier, pour moi, une 2ème année de fac d'anglais intéressante), les mêmes 4 garçons se retrouvaient au cœur du Bronx, adoptés quasi instantanément par une bande de jeunes de ce quartier populaire de New York pendant près de 2 semaines ! Sac au dos, guitare en bandoulière, Louis et moi, arrivés le 30 juin 1974, avions rencontrés ces New-yorkais à Central Park en faisant notre numéro de duo de guitaristes-chanteurs et l’un d’entre eux avait accepté de nous héberger, yesss !

Le 5 juillet, un gars de cette bande, Andy, nous avait emmenés en voiture à JFK, où “P’tit Loup” et Olive étaient censés débarquer à leur tour. Sitôt arrivés, ils étaient hébergés eux aussi — quelle hospitalité, la bande de 1974 de « Taylor & Archer » (du nom des deux avenues qui se croisaient là) ! Et ils se retrouvaient, comme nous, immédiatement plongés dans le bain, celui d'un environnement à la West Side Story que nous découvrions tous quatre avec fascination. Dans le tourbillon de fêtes estivales qui embraye immédiatement, dans les rues et les alleys du Bronx, chez les uns et les autres, la musique des quatre petits Français est bonne, les bières coulent à flots, les joints tournent… Quelle découverte de l’Amérique !

Le lendemain de l’arrivée des deux autres, après déjà une nuit blanche pour célébrer tout ça, un gars de la bande propose des acides (pas trop corsés) et l’excitation monte d’un cran. À un moment de la soirée, dans un appartement résonnant des rires et conversations d’une vingtaine de convives, Olive et moi, assis dans le même large fauteuil, nous roulons un palot en guise d’argument dans une grande discussion engagée sur l’amitié et l’amour. Comme en d’autres occasions en 30 ans, je suis le partenaire ravi et complice d'une nouvelle provoc/plaidoyer à l’amour de mon ami Olive, qui décline un de ses messages, en gros : « Bordel, vous croyez que ça veut dire quoi, “Aimez-vous les uns les autres” ?! » !

Cette soif de manifestations d’affection, que nous partageons tous peu ou prou, il a tout de même des raisons d’en faire état avec plus de véhémence et d’intensité que bien d’autres. Sa mère, Mireille, a été séduite toute jeune par un franco-vietnamien « au charme fou », barbouze/agent trouble, “Robert le Viet”, parti sans laisser d'adresse après la naissance d'Olivier et de sa soeur aînée, Anita. Les deux enfants ont été élevés jusqu’à 6-8 ans par leurs grands-parents maternels à Reims, avant de retrouver leur mère et un beau-père suffisamment présent et aimant, Jean-Philippe Caudron — mais le pli du manque affectif était déjà bien pris. Et il sera à la base de l’expression créatrice d’Olivier, qui s’attachera avec une force et une sincérité rares à revendiquer, au nom de tous, le sensuel, le sexuel, l'affectif dans les textes souvent cinglants de ses chansons (tout en en faisant voir de toutes les couleurs à ses parents et à ses proches de façon assez constante au fil des ans !)

Travail et musique

On continue de se côtoyer au fil des années 1975 à 1977. Pour notre bande, cela correspond à l’époque de la vie en communauté pour certains et aux débuts de Téléphone, dans lequel il est brièvement question qu’Olivier et moi jouions aux côtés de Jean-Louis et Richard, comme raconté ici. À partir de 1978, je décroche un travail intermittent mais intéressant d’interprète anglais-français dans l’industrie aéronautique. Au gré de missions pouvant durer d'une semaine à trois mois, souvent en province mais aussi en région parisienne, cela m'éloigne un peu de ces amis et de ce mode de vie. Mais c’est aussi un très bon arrangement qui me permet d’alterner des périodes lucratives et de confirmation dans un nouveau métier qui me plaît et des périodes consacrées à la musique et au reste. Début 1979, Olive, que je n'ai pas vu depuis quelque temps, me recontacte pour me proposer de passer jouer avec lui et deux (jeunes) filles.

C’est avec grand plaisir, bien sûr, que j’accepte. D'autant que si j'aimerais bien faire plus de musique, je ne m’imagine pas trop faire quelque chose à moi tout seul. Pour réussir, il faut cumuler énormément de qualités ; il y a en a qu’il me semble avoir, au moins en germe, d’autres où c’est moins évident. D’où mon attachement — comme bien d’autres à cette époque — à l’idée de groupe, de conjugaison des capacités. Avec Louis et Jean-Louis ou Lionel Blévis, dans notre groupe de 1972-1974, ça fonctionnait très bien, mais nous ne préoccupions pas encore d’écrire nos propres chansons. S’il y a bien quelqu’un d’autre avec qui je sens une complicité créative possible, c’est Olive. De plus, il s’avère qu’il écrit des chansons depuis un petit moment, et de mon côté aussi, après des années de petites compositions en anglais ou en “yaourt” au piano, je commence à écrire mes premières chansons en français à la guitare.

« Un, deux, trois, quatre ! »

Je débarque début 1979 au sein de ce trio qui s'est connu l'année précédente dans la mouvance des groupes Diesel et Téléphone et a déjà commencé à fusionner à l'occasion d'un voyage en Espagne et d’autres péripéties. Sylvie Méoule, qui s'est choisi un deuxième prénom plus sophistiqué, Violaine, a 17 ans. Corinne Ternovtzeff, qui en a 19, joue sur la graphie pour un effet analogue: elle sera Körin. Cela dit, le prince du jeu avec les noms et les identités, c'est bien Olivier ! Il est Olive, bien sûr, mais aussi l’enfantin/féminin Lili, et encore “Mao”, ce sobriquet facile des cours de récré pour faciès asiatique, que fier et sans vergogne, il reprend à son compte. Et il est toutes ces facettes à la fois quand il signe ses chansons “Lili Olimao” ou revendique « C’est juste moi, Olive — C'est juste moi, Mao — C'est juste moi, Lili » dans sa chanson-bio des jeunes années, Valérie. Plus tard, avec encore plus d’à propos, il se rebaptisera LoveLive puis LovLiv : celui qui aime et qui vit, mais aussi une manière de yin-yang lettriste avec ses deux moitiés analogues accolées et ne différant que d’une lettre, o/i, zéro/un, “ouvert/fermé”, masculin/féminin, va-et-vient, flip-flop…

Je tombe tout de suite sous le charme, les deux filles sont mimis comme tout et étonnamment précoces sur leurs instruments respectifs, la batterie pour Violaine, la basse pour Korin. Comme voulu par Olive, je participe avec lui à la formation accélérée des filles, notamment pour Korin, bassiste comme je l’ai été (je tiens maintenant la guitare rythmique). Olive a 6 ou 7 chansons qui prennent forme, j’en ai 4 ou 5 et tout ça se met en place assez rapidement. Voici deux prises de la deuxième répétition que j’ai enregistrée, le 15 février 1979, sans doute à Montreuil (C’est du mono enregistré sur K7, la voix n’était pas assez amplifiée, comme souvent, donc merci de votre indulgence !)  :

Valérie (O. Caudron) (Mono, 3,2 Mo, 3’25”)
Olivier (guitare, chant), Lionel (guitare, 2eme voix), Korin (basse), Violaine (batterie)
Ouvrir une fenêtre avec les Paroles

Plus d’un an avant l’enregistrement de Monde Animal, Olive a déjà pratiquement finalisé cette chanson et elle est déjà bien péchue !

Pas dérailler (L. Lumbroso) (Mono, 3,5 Mo, 3’44”)
Lionel (guitare, chant), Olivier (guitare), Korin (basse), Violaine (batterie)
Ouvrir une fenêtre avec les Paroles

Là, c’est la « première mouture », la première fois qu’on répète mon morceau et ça se tient déjà très bien. On peut noter que Violaine, avec ses quelques mois de batterie, sait déjà parfaitement assurer une des tâches de base du batteur, que pourtant certains batteurs négligent : faire un roulement de relance et de division du temps toutes les 4 ou 8 mesures. Korin n’a pas encore tout à fait mémorisé le refrain mais assure pour le reste une basse solide et qui groove.

« Pourquoi t’accélères ? »

Ah, bien sûr, les filles, dans un groupe, c'est plus facile à engueuler en répète pour des prétextes justifiés ou non, et cet aspect tactique rentre en ligne de compte dans la préférence d’Olive pour ce type de formation ; mais il faut aussi admettre qu'il tient à s'entourer de filles de caractère. Il faut qu'il y ait du répondant, c'est un des modes d'interaction d'Olive. Dans les différentes variations de Lili Drop, il y en a eu largement. Vis-à-vis des gens en général, Olive juge que « quand tu leur rentres dedans, ils disparaissent » (Valérie, toujours). Bref, zéro répondant ! Mais Lovliv est là pour nous botter les fesses, pour nous apprendre à vivre. Et zou ! Prends ça dans les gencives et réagis un peu — that kind of message ! ;o)

Tenez, entre deux chansons, voici un exemple de la verve du gaillard, qui nous règle notre compte à moi et à Violaine en 9 secondes chrono, ha ha :

“Baisse-toi un peu / Pourquoi t’accélères ?” (Mono, 150 ko, 0’9”)

Violaine ne se laisse pas faire et réplique le plus souvent avec aplomb à son mec et chef d’orchestre. Elle déploie un heureux mélange de douceur façon peluches (culottes bouffantes en satin et ballerines roses !) et de la vigueur d’une batteuse qui cogne et qui l’ouvre. Korin est beaucoup plus réservée, elle parle peu, essaye de ne dire que des mots justes, ouvre grand les yeux et les oreilles pour apprendre. Nous sommes tous sensibles à sa beauté un peu mélancolique, à sa réserve de tendresse et à une espèce de sens aigu du « juste » qu’elle semble avoir.

Drepou et Revox

On répète dans différents lieux, notamment dans la cave de deux amis d’Olive, Brigitte et Hervé, rue Quincampoix. Moi, je suis dans ma dernière année d’usage modéré de drogues dures en général et de poudre — dre-pou, dreup, drop : héroïne (voire morphine) — en particulier ; alors avec Olive, grand adepte qui, lui, en prolongera l’usage encore 15 putains d’années (« Ma maîtresse, ma misère, ma détresse, mon désespoir », in Porc qui pique, voir ci-contre dans les 45 Tours), jusqu’au traitement salvateur à la méthadone des années 90, il nous arrive de “communier” autour de la « poudre blanche » (chanson Le Singe)… mais aussi d’enregistrer des maquettes de chanson sur l'outil numéro un de l'époque, un magnétophone à bande Revox A77. Ainsi, le 26 février 1979, on se retrouve tous les deux dans son appartement de la rue de Douai pour enregistrer ma chanson Pas Dérailler :

Pas dérailler [Revox] (L. Lumbroso) (Mono, 3,7 Mo, 3’09”)
Lionel (guitare, basse, chant x 2), Olivier (guitare x 2, guitare solo)
Ouvrir une fenêtre avec les Paroles

Bien sûr, là on en a trop fait, il y a trop de guitares (4 à nous deux !), la voix est sous-mixée, le son est tout sauf clair, mais n’oublions pas que ce bel engin seventies ne propose que 2 pistes. Dès ma guitare rythmique et ma ligne de basse enregistrées, il n'y a plus de place, il faut donc faire du “rerecording”, transférer les 2 pistes sur la première tout en enregistrant une 3e piste ; cela fige la balance des volumes et chaque nouvel enregistrement de piste oblige à figer le mixage des pistes précédentes. Et on s'est permis d’en faire 7, y compris 2 prises de voix à l’unisson (nous sommes un certain nombre à avoir été très marqués par les double tracks de voix des Beatles !). Olivier fait exactement ce qu’il faut en riffs de guitare et en solo sur cette chanson. Notre complicité musicale et affective a toujours été forte, mais sur cette chanson, à mes oreilles, c’est vraiment “raccord”, et Olive est pour moi, à vie, ha ha, LE guitariste soliste de cette chanson (on la réenregistrera d’ailleurs ensemble pour mon groupe de 1994, Lumbroso & Compagnie).

Premier concert au Printemps de Bourges

Le groupe s’active pour préparer un premier engagement obtenu en marge (« Off ») du 3ème Printemps de Bourges, prévu le 17 ou le 18 avril 1979 (je ne sais plus). Voici deux autres chansons répétées juste avant de nous y rendre, le 14 avril :

Paraître (O. Caudron) (Mono, 4,7 Mo, 4’58”)
Olivier (guitare, chant), Lionel (guitare), Korin (basse), Violaine (batterie)
Ouvrir une fenêtre avec les Paroles

Là encore, cette chanson, qui sera également enregistrée un an plus tard sur le premier album, est déjà quasiment terminée dans sa structure et dans ses paroles. Olivier utilise juste ici un effet de chorus sur sa guitare qu’il abandonnera plus tard. En bonus, voici un extrait de la même chanson enregistrée avec notre ami Louis Bertignac qui est venu 2 jours plus tôt taper le bœuf ; cet extrait débute au break « Est-ce que tu danses avec ta mort, est-ce que tu danses, tu danses », avec Olive qui lance le solo de Louis.

Ne les laisse pas te changer (L. Lumbroso) (Mono, 4,7 Mo, 5’02”)
Lionel (guitare, chant), Olivier (guitare), Korin (basse), Violaine (batterie)

Les commentaires de début et les paroles de cette chanson sont assez ineptes, mais l’énergie et le groove sont bien là. J’aime beaucoup la frappe très régulière un peu derrière le temps de Violaine et sa cohésion avec la basse solide de Korin. Quant à Olive, il est sacrément incisif et sonne bien sur les deux solos qu’il prend là-dessus !

On part pour Bourges dans ma fourgonnette 4L et avec une deuxième voiture, probablement celle de Korin, bien excités à l’idée de donner notre premier concert. Ça se passe bien, on est un peu tendu sur la grande scène du chapiteau qui nous accueille, mais nos chansons fonctionnent, la fraîcheur et l’énergie passent et nous recueillons ensuite des témoignages positifs. (Curieusement, moi le forcené des enregistrements, je n’ai malheureusement rien capté de cette première prestation).

En marge de cette escapade, Korin, qui a un faible pour les chansons jazzy (une veine qu’elle creusera joliment plus tard sous le pseudonyme d'Enzo Enzo), s’intéresse à celles que j’écoute régulièrement, notamment issues de l'excellent Michael Franks, qui crée de véritables “standards” jazzy des années 70-80, comme celui-ci : All dressed up and nowhere to go (3,5 Mo), tiré de son album One Bad Habit.

Sur sa mob (Y’a qu’ 3 places, objectivement)

Mais tandis que les choses commencent à prendre tournure, je me sens obligé de faire le point le plus objectivement possible : je suis à la fois partie prenante de ce groupe prenant pour nous tous, et un peu décalé par rapport aux 3 autres ; mes chansons et celle d'Olive se marient sans heurt, mais mes paroles sont nettement moins inspirées, à part peut-être celles de « Pas Dérailler » ; une même énergie nous motive, mais eux ont incorporé l'attitude Punk plus que moi, avec mes racines baba-cool.. et ma moustache !

Un soir, dans ma chambre de bonne, en fumant le pétard du soir qui me permet, entre autres, de faire le bilan de la journée et de mon actualité avec plus de liberté et de créativité dans les associations d'idées, je me rends à l’évidence : ce groupe attachant a plus de cohésion à 3 qu'avec moi et son avenir est probablement dans cette formule. Pour acter durablement cet “instant de clarté”, j'inscris cette réflexion et cette décision dans un carnet de bord d'une écriture rendue un peu malhabile par la fumette, tout en étouffant un gros soupir et en sentant mes yeux s'humidifier un peu ! Mais bon, it feels like the right attitude, le un-peu-dur mais juste choix.

D’un peu plus loin maintenant, je suis la suite des aventures de mes camarades de jeu avec intérêt, tendresse et vague nostalgie. Lili Drop fait irruption sur le marché du disque fin 1979 avec une chanson que nous n'avions jamais répétée, contrairement à toutes celles du futur premier album, et qu’Olive a dû composer à l’été ou à l’automne. Sur ma Mob est bien de la veine d’Olive, qui livre sa chronique tendre et acerbe de coursier avec un bagout des faubourgs. Il s’avère que l’harmonie du refrain (“Sur ma mob, je suis bien”) m’a été empruntée -- et Olive, avec beaucoup d’honnêteté, le dira et le rappellera régulièrement, à moi comme à d’autres --, mais ce n’était pas une suite harmonique personnelle, juste une suite jazz classique II-V / III-VI / II-V-I que j’avais pas mal jouée/boeuffée devant ou avec Olive. Bref, je suis certainement heureux d'avoir contribué pour une petite part à ce premier tube Lili-Dropesque !

MONDE ANIMAL : Un premier album fort et très cohérent

Le premier album de Lili Drop, qui sort à la mi-1980, est marquant à plusieurs titres et véhicule de façon extrêmement cohérente l’univers créatif fort d’Olive. Un univers où, dans ses chansons et ses attitudes, il creuse inlassablement les questions du pouvoir et du désir entre les individus, sur un double fond de quête d’un monde idéal où ces questions ne poseraient plus de problème et de tentation de repli sur soi, anesthésié par des substances “enveloppantes” (selon le concept du sociologue Jean-Claude Kaufmann), capables de faire oublier l'acuité et la difficulté de ces questions.

C’est d’abord la pochette qui frappe, en capturant de façon très explicite et spectaculaire une des ambiguïtés de base sur lesquelles joue Olive. Le concept de cette pochette est dû à Jean-Paul Blanc (« Paulo »), son beau-frère, mentor et manager à l'époque : le verso répond au recto, un procédé efficace, étonnamment peu exploité au cours des quelque 25 ans de gloire du 33 Tours. Dans un entretien avec François Ducray pour Best en 1981, Olive explique que cette pochette était "une réaction à l'image créée par Actuel, genre petits enfants et nounours". En réalité, l'image enfants/peluches/petit-lapin émane directement de lui (et des filles) et constitue un pôle d’innocence que le thème de la pochette vient en effet rééquilibrer d’un message plus adulte, plus sauvage, plus dangereux.

Au recto, l'ordre règne, l'homme est assis, affublé de symboles de pouvoir (costard, cigarette nonchalante et virile, regard sûr de lui). Les femmes sont deux à son seul service, debout, à moitié dénudée pour l’une, sans doute prête (ou contrainte) à rendre un autre type de service, en bonne chatte. Et pourtant... tout ça n’est pas si tranquille ; personne ne sourit vraiment, même pas l’homme ; la femme de droite sucre le café, mais ça a une vague allure de su-sucre à son chien-chien ; la femme de gauche s’apprête à servir un baba, mais son couteau à l’air bien affûté, dans sa main gantée de noir. Et puis ces chattes ont la peau bien…tigrée ! Allez, fais tourner, faites tourner la pochette pour avoir le fin mot de l’histoire : le pouvoir et la force ne sont pas nécessairement où l’on pense ; qui s’appuie sur des dispositifs de pouvoir et/ou sollicite l’animalité des autres et de soi, notamment celle du désir, doit s'attendre à un retour de bâton radical... C’est dangereux, mais aussi excitant.

D’autant qu’il s’agit d’un jeu, qu’on est dans le registre de la mise en scène un peu grand-guignolesque, opérant comme une grande affiche à l’entrée d’un cirque, le cirque « Lili Drop » : entrez, entrez, braves gens, dans les chansons de ce « Monde animal » qui est un peu le nôtre ; mais ne dites pas qu'on ne vous a pas prévenu, ça va être cru, cinglant, à la fois roboratif et inquiétant.

Car la vie ne vaut que si l’on en explore les ressorts en flirtant avec les limites, avec la « ligne blanche », en se mettant en danger. Car le seul vrai moyen de désamorcer les rapports de domination entre les individus, c’est d’en faire un jeu et d’être prêt à échanger les rôles entre dominant et dominé. Car la seule façon de donner un sens à sa vie, c'est de formuler un projet de vie, un "rêve" et d'y être fidèle envers et contre tout, même s'il faut pour cela absorber des substances qui rendent la vie quotidienne moins déprimante.

Pour évoquer tout ça, Olive compose des paroles extrêmement éloquentes et sait exploiter tous les ressorts de la langue : sonorités, rythme des phrases, analogies, jeux de mots, termes argotiques ou enfantins, messages cachés, etc. Les musiques ne sont pas toujours très personnelles, mais de suites d'accord déjà entendues, il a le talent de faire de mini-archétypes. Dans un entretien accordé au magazine Longueur d’Ondes, en 1991, Olive assume : « J’ai pas tellement d'identité musicale. Trop de trucs m’intéressent. Si je fais un show d’une heure trente, il y aura une partie rock, une funk, une acoustique. »

Mais ces accords ou suites d'accords déjà entendus ne sonnent jamais “banal” dans ses chansons, d’abord parce qu’ils sont épurés, réduits aux accents les plus importants, ensuite parce qu’ils sont joués avec une conviction et une énergie peu communes, et enfin parce qu’ils servent d’écrin groove et puissant à des paroles qui sont le premier mode d’expression créative du bonhomme. D’ailleurs, dans bon nombre de cas, il déclame ses paroles en soignant particulièrement l’articulation plus qu’il ne les chante (tandis que Violaine et Korin livrent au contraire des chœurs très chantés en contrepoint). Personnellement, 25 ans après, je ne me lasse pas, par exemple, de Monde animal, plein de très goûteuses assonances et qui file remarquablement jusqu’au bout l'analogie animale, ou de Foutoir, dans un autre genre, celui de la langue “coup de poing” et des images de la rue et de la dope.

Cela dit, les musiques et les arrangements peuvent être plus recherchés dans certains titres. Je pense notamment à Chromosomix, de 1985, que je ne connaissais pas jusque récemment (voir ci-contre dans les 45 Tours) et qui est particulièrement travaillé et plutôt en avance sur son époque. Ce titre permet également à Olive de développer explicitement le thème de l'ambivalence sexuelle de façon fort convaincante.

VIVANT : LovLiv is alive, in love and playing in Paris

Allez, 25 ans après ces faits, le doute n'est plus permis: ce gars-là incarne toujours et encore l'appétit de vivre et la résilience ! Dans ma galerie d'amis chers qui occupent à demeure un coin de mon paysage mental, et que je peux convoquer plus ou moins à loisir pour tenter d'adopter un autre regard, le leur, sur telle ou telle chose, Olivier est le survivant remarquable, celui dont on peut s'inspirer lorsqu'on a besoin de rebondir.

Dieu sait qu'il a fait plus que chevaucher les lignes blanches, qu'il a été à terre, qu'il a, plus intensément et plus longtemps que la plupart d'entre nous, payé son tribut aux maladies de la fin du siècle dernier — “paradis artificiels”, shooteuse, VIH, VHC (en ai-je oublié, mon bon camarade ? ;o) — et qu'il a toujours trouvé le moyen de remonter la pente, à coup de méthadone, de trithérapies, que sais-je encore, mais surtout de goût de vivre, de désir, de passion.

Une soif de vivre et de faire qui sont de surcroît communicatives et peuvent déboucher sur des aventures fusionnelles et créatives d'une intensité rare. Ça a été le cas pour Lili Drop première manière. Et cela pourrait bien être le cas de nouveau aujourd'hui dans le cadre d'un Lili Drop II susceptible de bénéficier de la même magie, du même concours de personnalités, de talents, d'envie. Le 15 juin dernier, sous l'impulsion de Nathanaël Friloux-Gedanken, Olive a “rechargé” Lili Drop et proposé au Point Ephémère un concert qui a été une grande réussite, dans une formation épatante (cf. ci-dessous).

NB : Il est IMPÉRATIF d'activer JavaScript dans votre navigateur Web (ou : “Autoriser les contenus bloqués”) pour pouvoir ouvrir les différentes fenêtres de cette page.

 

 

 

 


Un graf' tendre et énergique qui donne le ton de ce récit !

 

 

 

 

 


Superbe dessin réaliste et stylisé de G. Grimon pour une affiche Arabella. (Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

 

 

 


Olivier autour de 12 ans, guitare déjà en mains.

 

 

 

 


Manhattan et une rue du Bronx

 

 

 

 


Mireille, Anita, Jean-Philippe et Olivier Caudron,
à Formentera en 1965

 

 

 

 

 


Entre 2 sessions d'interprétation avec les stagiaires libyens de Dassault, je me glisse dans le cockpit d'un des rutilants Mirage F1 de la BA 118 de Mont-de-Marsan !

 

 

 

 

 


Belle photo des trois (à g. Violaine, au centre Korin), parue dans Best en 1980-1981

 

 

 

 


Ma tête de l'époque en version décontract', lors d'un excitant séjour de 2 semaines à Londres fin 1978. Je dormais dans ma fourgonnette 4L avec ma petite Gibson et mon K7, et en traînant autour de Piccadilly, j'ai fait des rencontres rares, leurs noms me restent encore en tête -- Georges Jackson, grand irlandais chaleureux à tête de Christ ; Sandy, pulpeuse et accueillante, qui m'a hébergé quelques jours, Kevin, avec qui on boeuffait sous Eros, qui m'a emmené voir The Last Waltz et avec qui j'y suis retourné 2 fois tellement c'était bien ; et puis Richard, le petit Australien futé qui rentrait de Thaïlande avec... une once de blanche pure qu'il a fraternellement fait tourner à notre petite bande de fortune pendant une semaine !

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 


Le très populaire magnétophone 2 pistes Revox A77

 

 


L'affiche du 3eme Printemps de Bourges

 


Cliquez sur la pochette pour acheter (pas cher) cet album de Michael Franks sur Amazon ou en écouter d'autres extraits.

 

 

 

 

 


Extrait d'entretien avec Francis Dordor, pour Best, en mars 1980
(Cliquez pour accéder à l'intégralité, en PDF [700 ko])

 

 

 

 

 


Le collage d'origine de la maman d'Olivier, Mireille, pour la pochette de [Sur Ma Mob]

 

 

 


Une photo pour [Salut !] où l'imagerie Peluches, petits nounours et plus si affinités est bien mise en avant !

 

 


Revue de l'album Monde Animal dans Best de Juillet 1980 par François Ducray, l'un des principaux supporteurs de Lili Drop et d'Olive dans la presse Rock
(Cliquez sur l'extrait pour accéder à l'intégralité)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Revue d'un concert de Lili Drop dans Rock et Folk de Juin 1981 par Christophe Nick, autre critique rock ayant souvent et éloquemment rendu compte de son appréciation d'Olive et du groupe.
(Cliquez sur l'extrait pour accéder à l'intégralité)

 

 

 

 

 

Monde animal

(1980 - Arabella/Eurodisc 200 147)


01 - Banal
02 - Le singe
03 - Paraître (4,7 Mo)
04 - Monde animal (2,6 Mo)
05 - Oui, oui, oui (5,2 Mo)


06 - Valérie
07 - Clean Magic
08 - Mirage
09 - Foutoir (3,4 Mo)
10 - Terrain vague
11 - Speedoux

Il se trouve que l'excellente musique de Lili Drop et d'Olive n'a jamais été rééditée en CD et était donc quasiment inécoutable depuis des années ! En 1995, Jérôme Freling (qui publie aujourd'hui l'excellent Blogup) proposait à Olive de lui produire un nouveau CD. Mais Olive était d'abord intéressé en priorité par une réédition des enregistrements de Lili Drop sur CD. Jérôme avait alors pris contact avec les maisons de disques concernées. Richard Kolinka (qui avait produit plusieurs disques de son ami Olive au travers de sa maison KOD) le rejoignit dans cette délicate démarche. Un accord fut trouvé avec un distributeur, mais le projet échoua finalement car l'ancienne maison de disques déclara que les bandes originales de Lili Drop étaient introuvables !

 

 

 

 

 

 

 


Christian Brun

Brune et Marine

The Man himself

Viryane Say

France Cartigny

...et moi... “Expresso” !


En voici quelques clichés ; d'autres photos et comptes-rendus sont disponibles ou accessibles sur le site de Lili Drop/Olive dont s'occupe le très chaleureux Jean-François Jacq (“Jef”), sur cette page et également chez l'ami Ber (Bernard Guelfi), à cet endroit.

Pour en savoir plus, on gagnera à explorer le site de Jef, et notamment à lire la retranscription du long entretien qu'il a eu récemment avec Olivier.

Enfin, n'hésitez pas à laisser un !

À très bientôt pour d'autres “aventures avec Olive” !

-= Juillet 2005 =-

(Mise à jour en novembre 2005 et janvier 2006)

18 janvier 2006
C'est triste à pleurer : après une formidable amorce de retour gagnant en 2005, notre petit prince nous a quitté, victime des complications d'une tuberculose, après avoir lutté comme le survivant qu'il est pendant plus de 3 mois.
Tous ceux qui l'aiment peuvent témoigner dans le Livre d'Or et dans le Forum du site d'Olive tenu par Jef et également dans ma page de commentaires (lien ci-contre).


Des échos émus du départ d'Olivier :
France 2 : Un billet sobre et fort de Laure Narlian
RFI : Un résumé dense et pertinent par Valérie Passelègue
Un très beau message d'adieu de Louis Bertignac
L'au revoir d'Elli Medeiros
Un fil de forum du site Saudade non officiel d'Etienne Daho
Les souvenirs émus avec Olive de Jérôme Freling/Blog Up

19 janvier 2006
Libération : L'article bilan de Ludovic Perrin
L'édito-hommage de Nicolas Bravin, ex-guitariste de Bertignac et les Visiteurs
Le Monde : la notice nécrologique

25 janvier 2006
L'Adieu à Olive du 24 janvier en photos

30 janvier 2006
Un très bel hommage de markimOOn, slammeur marqué par Olive

                          



Épisode 1 - Rockin' 70s Épisode 2 - Zabu/Charles-V Épisode 4 à venir