Épisode Deux
1972-1977
À Charles-V avec Laurent et Zabu

Bœuf avec Laurent Grangier, Lucien Zabuski et Michel Rousset
Traducteur, modérateur... entremetteur, oui, j'aime bien provoquer les rencontres entre des gens que j’aime bien. On trouvera ci-dessous les traces auditives anciennes, monophoniques, mais tout de même sonnantes d’une de ces rencontres. Je connaissais Michel Rousset depuis 2 ans, et nous avions déjà pas mal partagé : une saison comme musiciens au Club Méditerranée en 1975 (à Yasmina, au Maroc), un été 1976 ensemble, chez lui et Eliane à Carcassonne...

Deux compères inséparables et talentueux
Zabu et Laurent, je les ai rencontrés à la fac d’anglais Charles-V (Université Paris VII), je ne sais plus quelle année exactement entre 1972 et 1976. Ces deux-là étaient toujours ensemble ; quand on voyait l'un, l'autre était à côté ; on a dû se repérer à nos dégaines respectives et embrayer rapidement sur la musique ; la musique, ils la créaient ensemble. Le beau film clair-obscur et chaleureux sur Pigalle la nuit, Neige, de Juliet Berto, a joliment fixé les deux partenaires au tournant des années 70-80, en magnifiant à peine par un peu de fiction une amitié-partenariat réellement remarquable.

Une fac d'anglais assez rock'n'roll
Ces deux compères parlaient souvent musique, mais tout autant de civilisation ou de littérature américaine, de l’argot du Blues, des symboliques qui se dégageaient de la musique américaine (par exemple la sorcellerie et l'envoûtement dans les traditions du Sud). Il faut dire que Charles-V, logé à l’écart de Jussieu, dans un bel immeuble ancien du Marais, bruissait de conversations et d’échos de cours souvent passionnés, sur des thématiques spécifiques comme celles du Blues, ou par exemple des nouveaux médias, dans le sillage du précurseur Marshall McLuhan. C’était la première fois que je rencontrais cette atmosphère d’études motivées principalement par la curiosité et la passion et non par la course aux diplômes ou l’obligation.

Cofondateur du fameux groupe Magma
Je ne savais pas à l’époque que Zabu avait été l’un des fondateurs (comme chanteur) du déjà mythique groupe Magma, de Christian Vander, mais il était clair qu’il était habité par la musique. Avec Laurent, ils faisaient preuve d'un mélange étonnamment juste à mes yeux de gouaille parisienne, joviale, rock'n'roll et d'érudition/passion exigeante.

Année 1977, enregistrement sur mini-K7
Comme pour bon nombre des enregistrements de cette rubrique, les morceaux ci–dessous sont attrapés au vol en mono sur mini-K7 et dans des conditions d'équilibre sonore loin d’être idéales, notamment pour le chant. On n’entend pas assez bien les voix de Zabu et de Laurent, mais j’espère suffisamment pour qu’on se rende compte de leur qualité.

1977 – Mister DJ (Grangier/Zabuski) (Mono 64 kbit/s, 1,4 Mo, 3’08")

Guitare et chant : Lucien Zabuski
Sax tenor et chant : Laurent Grangier
Piano : Michel Rousset
Basse : Lionel Lumbroso

Paroles :
Hey hey hey, Mister DJ, hey hey hey, Mister DJ
Can’t you see, Mister DJ : the people wanna dance, Mister DJ.
Dance and dance and dance and dance, all night long...

À Noter :
Il s’agit d’un blues mineur septième en Do auquel la résolution en II-V-I passant par le Ré avant le Sol donne une petite couleur latino-jazzy. Comme souvent, les deux compères chantent à deux voix sur des harmonies assez classiques (tierces notamment) mais excellemment interprétées et mariées. Après une intro et une première grille d’exposition, le chant débute à 35". Puis le sax de Laurent poursuit avec 2 grilles de mélodie. A 2’05" intervient une grille de chant "doo-wap" avec breaks du plus bel effet au cours duquel Laurent dit quelque chose qui doit être un ironique "Ne vous inquiétez pas de ce break, chers amis, c’est écrit comme ça, c’est normal » (enfin, peut-être, tendez l’oreille !). Suit une dernière grille de chant poussive où le tempo décroît lentement... raison suffisante pour un fade-out prématuré du morceau !

Mister DJ est restée en moi depuis cette époque et je me la rejoue ou je la fredonne de temps en temps, merci Laurent ! Deuxième chanson jouée ce jour-là, quelque chose que j’appelle « Oh la la » parce qu’on entend surtout cette onomatopée dans la chanson, mais je ne me rappelle pas s'il s'agit du vrai titre de cette chanson.

1977 – Oh la la (Grangier/Zabuski) (Mono 64 kbit/s, 1,7 Mo, 3’47")

Guitare et chant : Lucien Zabuski
Sax tenor et chant : Laurent Grangier
Piano : Michel Rousset
Basse : Lionel Lumbroso

Paroles :
Oh la la, oh la la, oh la... Oh Oh, oh la la
Oh la la, oh la la, oh la la, oh la la, oh la la, Oh !
Oh la la, oh la la, oh la... Oh Oh, oh la la
I’d like you ( ?)...
[...]
Ne pleure pas (pa-a-as), Madeleine
Non, n’ais pas de chagrin
Il n’en vaut... pas la peine (pas la peine, pas la peine)
Ce n’est qu’un (un !)... musicien !
All of my life, I have dreamt of a girl like you !
[...]

À Noter :
A cause de quelques sautes d'enregistrement et de ma ligne de basse hésitante au début (désolé ;), le rythme est un peu difficile à percevoir au départ. Il s’agit d’un rythme chaloupé issu de la combinaison de rythmes guitare et chant, décalés mais fondés tous deux sur un groupe de 3 croches. La guitare tape en syncope « quatre-UN-deux » (troisième croche de la cellule de 2 temps silencieuse) tandis que le chant fait son « oh la la » sur 2-3-4, puis 3-4-2, etc. en tournant autour du rythme de guitare et en coïncidant exactement avec lui toutes les 8 mesures.
Zabu et Laurent entament le refrain à l’unisson, puis le couplet en anglais. Vient ensuite un couplet de solo de sax vers 50". Vers 1’18", Laurent essaye d'expliquer à Michel et à moi qu'il faut passer en Ré mineur (pour faire "un truc zoulou, tu vois !" ;o) pour un pont en français. Reprise d’un couplet vers 2’15", puis solo de sax, et fin sur un genre de questions-réponses Laurent-Zabu tout à fait goûteux !

A priori, la dernière chanson de cette série est improvisée et n’a pas de titre déterminé, mais comme il s’agit d’une forme « blues » et que Zabu y dit apparemment que la vie ou la société ou une fille ont fait de lui un singe, je l’appelle « Blues Monkey ». C’est l’occasion d’entendre un premier couplet chanté par Zabu seul, de constater combien il s’agit d’une vraie voix de bluesman pleine de caractère — une rareté en France — et de regretter qu’on ne l’ait pas plus entendu, sur les ondes, sur disque, sur scène depuis 25 ans...
(Il a fallu se contenter de la belle chanson du générique de fin de "Navarro" et même ça, on l'a plus puisque cette chanson de Zabu est maintenant reprise par Herbert Léonard !)

1977 – Blues Monkey(Grangier/Zabuski) (Mono 64 kbit/s, 1,95 Mo, 4’15")

Guitare et chant : Lucien Zabuski
Sax tenor et chant : Laurent Grangier
Piano : Michel Rousset
Basse : Lionel Lumbroso

À Noter :
On commence par une grille à vide où Michel est devant, puis le chant très bluesy de Zabu débute vers 35". Les accentuations sont faites habilement sur certains mots ou expressions codes du Blues (« misery », « mean ol’ ») et la résolution du couplet épouse tout à fait les canons du genre, à la fois dans la thématique (le locuteur s’est fait manipuler) et dans la scansion (répétition du même début de phrase et résolution la 2e fois: "You make a monkey... You make a monkey out of me!"). A 1’30", Michel Rousset part en solo, avec des réponses de Laurent, qui part lui-même plus nettement en solo à 2’25". A 3’20", Laurent enchaîne sur un couplet de chant, avec là aussi un vrai sens du blues et un beau coffre, mais sur un mode un peu plus démonstratif, un peu moins abouti que Zabu à mon sens.

Voilà, cela faisait un certain temps que je souhaitais mettre à disposition de qui ça intéresse ces témoignages bruts mais patents du talent de mes camarades ici présents. Laurent, Zabu, Pierre-Yves et consorts, si vous passez par ici, n'hésitez pas à me le faire savoir !

-= Janvier 2003 =-

 

Épilogue - Janvier 2006

De mon texte ci-dessus de 2003, j’ai ôté la phrase suivante, parce que par rapport à ce que j'ai appris depuis, elle faisait une fausse hypothèse : « je ne sais pas ce qu'il en est 25 ans plus tard, mais je parierais bien que cette relation quasi symbiotique [entre Zabu et Laurent] perdure ». Oui, c’est ce que j’aurais aimé penser, en anglais ils appellent ça du wishful thinking ! Mais dans la réalité, les chemins peuvent aisément diverger. Il y a un an, Zabu m‘a recontacté, nous nous sommes revus avec plaisir et émotion (ce qui pourrait valoir ici une prochaine chronique), et moi qui ne l'avait plus vu depuis 1981 et qui n'en avait eu aucune nouvelle, j’ai appris que lui et Laurent Grangier avaient cessé de fonctionner en association depuis 1985, soit carrément depuis 20 ans, que Laurent avait émigré aux Etats-Unis en 1991 et qu’ils ne se voyaient plus depuis bien des années.

Le souvenir de ces années de fac d’anglais / fac de blues où la « relation quasi symbiotique » fonctionnait n’en est que plus précieux. En attendant un prochain bœuf avec le camarade Zabu dont quelques notes pourraient rebondir ici, qui sait ?


Façade de l'UFR d'anglais
Charles-V à Paris





Sommaire Musique Épisode 1 - Rockin' 70s Épisode 3 - Olive/Lili Drop