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Chapitre Trois
VISIONNAIRES ET CONVERGENCES (suite)
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Ce que l'on trouve sur le Réseau

Lorsqu'un réseau existe, il suffit, pour accroître les ressources collectives de tous ses membres, que chaque nœud du réseau mette à disposition des autres une ressource intéressante. Chaque jour, sur Arpanet, de nouvelles informations, de nouveaux moyens informatiques étaient disponibles de cette manière-là, et de plus en plus de gens communiquaient sur un mode nouveau. La croissance du Réseau était à plusieurs dimensions : nombre de ressources disponibles, mais aussi nombre d'ordinateurs connectés, vitesse de transfert des informations, volume de données numérisées. Plus le Réseau grandissait, plus il allait vite, et plus il donnait de possibilités à ceux qui y avaient accès et qui avaient appris à s'en servir.

Lorsque le Well se connecta à Internet en 1992, je disposai tout à coup de plus d'informations que je ne pourrais en ingurgiter en mille ans. Il existe, par exemple, un ordinateur sur Internet qui conserve les toutes dernières photos satellites météorologiques numérisées. Si je dispose d'un compte sur un ordinateur relié à Internet, je peux transférer l'un de ces fichiers-photos sur mon micro-ordinateur. Un autre programme, que j'ai déjà, me permet d'afficher l'image à l'écran. Il n'en faut pas plus pour que je contemple la photo satellite en couleurs de la côte Ouest des États-Unis prise il y a quelques heures. Si j'importe plusieurs photos consécutives, je peux constituer sur mon micro une animation et observer la progression d'un front orageux sur le Pacifique. On peut même acheter dans le commerce un logiciel qui appelle automatiquement un serveur Internet, importe les fichiers météo les plus récents et les affiche.

Le catalogue de la Bibliothèque du Congrès est consultable par toute personne ayant accès au réseau, comme le sont les catalogues de centaines d'autres bibliothèques dans le monde. Les dernières décisions de la Cour Suprême sont disponibles ainsi que le texte intégral du World Factbook annuel de la CIA. Je peux lancer des logiciels de recherche évolués et leur demander d'aller me chercher les paroles de chansons à succès. Le texte intégral de la Bible, de la Torah, et du Coran sont disponibles, et on peut y faire des recherches par mots clés. L'informatique et les techniques de réseau permettent d'automatiser tous les dialogues et toutes les connexions entre les différents ordinateurs qui séparent mon micro de celui sur lequel se trouve l'information qui m'intéresse.

La numérisation et la disponibilité croissantes des informations recueillies par l'administration aux frais du contribuable contribue également à amener le Réseau à sa masse critique. De plus en plus de bases de données publiques sont mises en ligne aux niveaux national et local. La coexistence de ces ensembles d'informations très factuelles et des forums électroniques de discussions éclaire d'un jour nouveau la sphère publique de demain. Les débats politiques prennent un tout autre relief lorsque l'accès immédiat à des informations pouvant confirmer ou infirmer telle ou telle assertion est possible. Il s'agit peut-être là de la base d'une démocratie électronique du futur.

Le 1er juin 1993, le message suivant était envoyé sur les forums du Réseau, copié, recopié et largement diffusé :

 

LA MAISON-BLANCHE
Bureau des correspondances du Président
Diffusion immédiate 1er juin 1993


LETTRE DU PRESIDENT ET DU VICE-PRESIDENT
ANNONCANT L'ACCES AU COURRIER ELECTRONIQUE
DE LA MAISON-BLANCHE

Chers amis,

Nous vous avons promis le changement et le changement, c'est aussi faire en sorte que la Maison-Blanche prenne le rythme des bouleversements technologiques d'aujourd'hui. Pour entrer dans le XXIe siècle, notre gouvernement doit montrer la voie et expliquer par l'exemple. Nous avons donc le plaisir de vous annoncer que pour la première fois dans l'histoire, la Maison-Blanche communiquera avec vous par courrier électronique. Ce moyen de communication rapprochera le Président et le gouvernement de leurs administrés.

La Maison-Blanche sera connectée à Internet ainsi qu'à plusieurs services télématiques commerciaux pour être accessible au plus grand nombre de gens dans ce pays. Nous ne serons d'ailleurs pas les seuls. Le Congrès s'intéresse sérieusement à la question, et une déclaration sur le courrier électronique est attendue demain de la part de la Chambre des représentants.

Plusieurs agences gouvernementales seront également concernées dans un proche avenir. Un certain nombre d'entre elles ont lancé un projet intitulé "Americans Communicating Electronically" pour coordonner et améliorer l'accès aux ressources électroniques éducatives et informatives du pays. Le projet sera conduit à l'aide de moyens de communication télématiques, à commencer par le courrier électronique, mais il s'adressera également à ceux qui ne disposent pas d'un micro-ordinateur.

Soyons toutefois conscients des limites du courrier électronique à la Maison-Blanche. Il s'agit du premier projet de cette ampleur jamais mené. Au fur et à mesure que nous réinventons la manière de gouverner et que nous optimisons nos procédures, le courrier électronique pourra certainement nous aider à rester aux avant-postes du progrès.

Au départ, votre message électronique sera lu, et un accusé de lecture vous sera renvoyé. Il sera fait le compte de tous les messages reçus et du sujet sur lequel ils portent. Cependant, la Maison-Blanche n'est pas pour l'instant en mesure de renvoyer à chacun une réponse personnalisée. Nous espérons pouvoir le faire vers la fin de l'année.

Un certain nombre de programmes permettant de faire une analyse thématique de vos messages et de vous répondre rapidement de manière pertinente seront également expérimentés. Ces programmes seront modifiés régulièrement pour essayer de mieux gérer vos messages électroniques. Comme cette expérience n'a jamais été tentée, il est important que le système garde une certaine souplesse au cours de ces premières étapes. Vos suggestions sont les bienvenues.

Il s'agit d'un moment historique pour la Maison-Blanche, et nous nous réjouissons par avance de votre participation et de votre enthousiasme. Nous attendons avec intérêt le jour où le courrier électronique sera un mode de communication normal entre les citoyens et la Maison-Blanche.

Le Président Clinton       Le vice-président Gore

PRESIDENT@WHITEHOUSE.GOV   VICE.PRESIDENT@WHITEHOUSE.GOV

 

Quelques jours plus tard, le message suivant était visible sur le Réseau :

 

CHAMBRE DES REPRESENTANTS DES ETATS-UNIS
COURRIER ELECTRONIQUE AVEC LES ADMINISTRES

Nous avons le plaisir de vous annoncer la création d'un système de courrier électronique avec les administrés. Pour l'instant, sept membres de la Chambre des représentants des Etats-Unis disposent d'une boîte à messages électroniques utilisable par leurs administrés.

Cette expérience constitue un programme pilote qui permettra d'évaluer l'intérêt du courrier électronique pour les bureaux du Congrès et pour leur mission de service auprès des administrés de leur district. L'expérience sera étendue aux autres membres du Congrès dans la mesure où les contraintes techniques, budgétaires et de personnel le permettront.

Examinez la liste des représentants ci-dessous. Si votre district est mentionné, suivez les instructions ci-après pour correspondre avec votre représentant par courrier électronique. Si votre représentant n'est pas encore connecté, merci de rester patient.


REPRESENTANTS DES ETATS-UNIS PARTICIPANT
AU SYSTEME DE COURRIER ELECTRONIQUE
AVEC LES ADMINISTRES

Hon. Jay Dickey
4e district du Congrès, Arkansas
Pièce 1338, Longworth Office Building
Washington, DC 20515

Hon. Sam Gejdenson
2e district du Congrès, Connecticut
Pièce 2416, Rayburn House Office Building
Washington, DC 20515

Hon. Newton Gingrich
6e district du Congrès, Georgie
Pièce 2428, Rayburn House Office Building
Washington, DC 20515

[etc.]

INSTRUCTIONS AUX ADMINISTRES

Si votre représentant participe au projet pilote, nous vous encourageons à lui envoyer une lettre ou une carte postale à l'adresse indiquée en demandant l'accès au courrier électronique. Dans votre correspondance, veuillez mentionner en majuscules votre nom et votre ADRESSE INTERNET ainsi que votre adresse postale (géographique). Lorsque votre représentant aura reçu votre lettre ou votre carte postale, il vous répondra par courrier électronique et vous communiquera son adresse Internet. Après ce message initial, vous pourrez écrire à votre membre du Congrès à tout moment, en respectant certaines recommandations qui vous seront précisées dans ce premier message.

Nous sommes conscients du paradoxe qu'il y a à demander à des utilisateurs de courrier électronique d'envoyer une carte postale pour entamer la communication avec leur représentant. Cependant, le but premier de ce programme pilote est de permettre aux membres du Congrès de mieux servir LEURS ADMINISTRES, et cette correspondance postale initiale est le seul moyen efficace de vérifier qu'un utilisateur est bien résident d'un district donné.

De plus, les administrés qui correspondront avec leur représentant par courrier électronique doivent être conscients que ces derniers leur répondront de la même manière qu'aux autres demandes d'administrés, c'est-à-dire par courrier postal. La confidentialité sera ainsi mieux assurée, ce qui répond à un souci majeur de la Chambre des représentants.

COMMENTAIRES ET SUGGESTIONS

N'hésitez pas à envoyer vos commentaires sur ce nouveau service par courrier électronique au bureau des commentaires du Congrès, à l'adresse

COMMENTS@HR.HOUSE.GOV

Nous nous efforcerons de tenir compte de vos suggestions lors des mises à jour de notre système.

Merci encore de votre intérêt pour le système de courrier électronique avec les administrés de la Chambres des représentants. Les possibilités ouvertes par le courrier électroniques nous intéressent beaucoup, et nous nous efforcerons de connecter d'autres représentants et d'étendre nos services. Nous croyons que ce programme pilote est une première étape importante, et nous comptons sur votre coopération et votre intérêt pour qu'il soit couronné de succès.

Ce message sera mis à jour périodiquement.

Honorable Charlie Rose (D-NC)49
Président
Commission de l'administration de la Chambre

[NdT 49] Les représentants (équivalents des députés français) et les sénateurs américains sont habituellement identifiés par deux abréviations, un D (Démocrate) ou un R (Républicain) pour indiquer leur appartenance politique, et deux lettres indiquant l'état où ils ont été élus (ici, la Caroline du Nord).

 

Une semaine plus tard, le message suivant se propageait sur le réseau. Les événements se bousculent à un rythme soutenu.

 

ENTREE EN VIGUEUR DE LA LOI SUR
L'ACCES A L'IMPRIMERIE DU GOUVERNEMENT

Le 8 juin, le Président Clinton a signé le décret d'application de la loi S.564 sur l'accès électronique à l'imprimerie du gouvernement, qui porte désormais la référence P.L. 103-40. Le Président a déclaré que ''cette étape importante dans la diffusion électronique d'informations fédérales permettra d'analyser le moyen le plus efficace de diffuser toutes les informations gouvernementales''.

La loi donne à l'Imprimerie du gouvernement les moyens d'améliorer l'accès électronique du public à tout un ensemble d'informations fédérales. Le système donnera accès aux archives du Congrès et au Journal Officiel fédéral ainsi qu'à d'autres publications diffusées par le directeur de la documentation. Il proposera également un catalogue électronique des informations fédérales publiques conservées électroniquement. Le système sera disponible gratuitement pour les bibliothèques ; les autres utilisateurs régleront le coût de la distribution. La loi précise que le système doit être en service dans un délai d'un an.

Dans une annonce à la presse émise par son cabinet, le sénateur Wendell Ford (D-KY) a déclaré que cette loi était ''une garantie supplémentaire de transparence du gouvernement vis-à-vis du peuple américain. Cette loi met des informations gouvernementales à la portée de tous les claviers. Que l'on habite dans une commune campagnarde du Kentucky ou dans les grandes métropoles que sont New York, San Francisco et Chicago, on pourra bientôt avoir accès aux documents gouvernementaux depuis son micro-ordinateur ou par l'intermédiaire d'une bibliothèque municipale''.

En conclusion de cette annonce, le sénateur Ford a précisé que cette loi était ''une première étape vers l'accès à toutes les informations''. Il estime que les actes des séances du Congrès et des commissions seront très prochainement disponibles par ce biais.

En 1992, Rick Gates, directeur de l'informatisation de la bibliothèque à l'université de Californie de Santa Barbara, inaugura la coutume des chasses au trésor sur Internet. Régulièrement, Gates publie une liste de questions sur Usenet, les forums voyageurs auxquels la plupart des sites Internet participent :

 

[NdT 50] Pacific Standard Time, c'est-à-dire « heure du Pacifique ». Les États-Unis s'étalant sur plusieurs fuseaux horaires, il est en général nécessaire, lorsqu'on veut indiquer une heure, de préciser sur quel fuseau elle est calée.

*******************************************
*
GRANDE CHASSE SUR INTERNET
*
Janvier 1993
*
(date limite: Minuit PST,50 le 10-1-93)
*
*******************************************

Et voici la première chasse de l'année ! Le léger retard dans son annonce est du à un virus petit mais tenace (biologique, m'empresse-je de préciser) qui m'a mis à plat.

Le score maximal de cette chasse est de 43 points (question complémentaire comprise).

J'ai, par ailleurs, le plaisir de vous annoncer que les chasses précédentes ont été archivées auprès de la Coalition pour l'information électronique. Merci à Craig Summerhill et à Paul Evans Peter.

 

Ces fichiers sont disponibles par ftp anonyme à :

ftp.cni.org

. . . dans

pub/net-guides/i-hunt/

. . . et le fichier ouvrez-moi explique ce qui s'y trouve.

J'archiverai également bientot un texte de présentation, le règlement, des conseils et une liste des gagnants passés.

J'espère aussi pouvoir prochainement placer ces fichiers sur un serveur gopher pour une meilleure distribution.

Amusez-vous bien, chasseurs intrépides. Quant à moi, je retourne au lit.

 

LES REGLES
__________

1. Il y a en tout 12 questions. Les 11 premières vous permettent d'accumuler les points. J'ai personnellement vérifié qu'on peut répondre à chacune d'elles en faisant appel uniquement aux ressources du Réseau. Les réponses en sont donc déjà connues.

2. La dernière question est une vraie question. Je ne sais pas si la réponse se trouve sur le Réseau. Il est possible que j'aie essayé de la trouver. Ce type de question émane en général de gens qui sont à la recherche d'une information précise.

3. Pour chacune des 10 premières questions, une valeur en points est indiquée entre parenthèses. Cette valeur est proportionnelle à leur difficulté selon moi. L'échelle va de 1 (facile) à 10 (difficile). Le nombre maximal de points que l'on peut obtenir est indiqué en tête de ce message. Les questions complémentaires valent systématiquement 1 point, non pas parce qu'elles sont faciles, mais parce qu'elles sont complémentaires.

 

LA CHASSE
_________

1. (7) Comment dit-on ''Joyeux Noel et Bonne Année'' en Tchèque ?

2. (6) Est-ce que la Toyota Motor Corporation est reliée à Internet ?

3. (3) Salut ! On vient de m'ouvrir un compte sur une machine Unix, et je DETESTE l'éditeur qui sert à rédiger les messages et qui s'appelle vi. J'ai trouvé un autre éditeur qui s'appelle emacs, et qu'on peut en principe personnaliser. Mais je n'arrive pas à obtenir le résultat que je veux. Est-ce que quelqu'un peut me dire où obtenir des conseils d'utilisateurs expérimentés d'emacs ?

4. (5) Est-ce qu'on peut attraper le virus du Sida en s'embrassant ?

5. (3) J'ai lu quelque part dans un journal électronique qu'une conférence avait lieu à Padoue, en Italie, sur la modélisation des signaux musicaux. J'ai noté le nom d'un contact, Giovanni De Poli. Pouvez-vous me retrouver son adresse électronique ?

6. (2) Quelle est la principale religion en Somalie ?

7. (4) On m'a dit que le Réseau servait à diffuser des informations et des images touchant aux enfants disparus. Comment puis-je en savoir plus et où puis-je trouver ces images ?

8. (4) Où puis-je trouver les tables de valeurs nutritives des différents aliments ?

9. (3) Quel est le texte exact du 1er amendement de la Constitution des Etats-Unis ?

10. (5) Je me suis procuré beaucoup d'informations intéressantes en ftpant51 des fichiers sur nnsc.nsf.net. Quel type d'ordinateur et de système d'exploitation se trouve à cette adresse ?

Question complémentaire. (1) Où puis-je trouver l'heure exacte ?

[NdT 51] L'américain forme avec facilité un nouveau verbe à partir d'un nom ou même d'un sigle, comme c'est le cas ici. En langage parlé, les adeptes français des réseaux ont tendance à faire de même. Ce « en ftpant » (c'est-à-dire « en important à l'aide du protocole ftp ») n'est donc pas incongru même en français.

Si vous savez vous servir du Réseau, vous trouverez les réponses à toutes ces questions en faisant appel aux outils dont peut disposer tout utilisateur enregistré d'un nœud Internet.

Internet met en effet à disposition de ses utilisateurs trois outils de base importants. L'utilisateur chevronné d'Internet peut s'en servir pour élaborer des outils plus efficaces et mieux personnalisés. Cependant, si l'on ne souhaite pas être directement en contact avec l'environnement de commande du réseau, ces trois outils fondamentaux peuvent être habillés d'une interface plus conviviale.

Le courrier électronique, qui constitue l'outil de loin le plus utilisé, est un ensemble de programmes qui permettent l'échange privé de messages électroniques entre individus ou entre groupes ; les messages sont acheminés en quelques secondes sur les artères principales d'Internet, et en quelques heures au plus sur les nœuds du monde entier. L'accès à ces programmes, qui autorisent aussi l'adjonction de gros fichiers textuels aux messages, la retransmission de ceux-ci, et la diffusion de messages à une liste d'adresses, font de tout citoyen du Réseau un producteur autant qu'un consommateur d'information. Les deux autres outils s'appellent telnet et ftp.

Telnet permet de demander à votre ordinateur hôte de vous connecter automatiquement à un autre ordinateur relié à Internet. Si vous disposez d'un mot de passe sur ce dernier, vous pouvez ensuite dialoguer en temps réel avec cet ordinateur. De nombreux sites mettent sur leur machine des ressources à disposition de tous en les plaçant dans un compte dont le mot de passe est anonymous.52 C'est aussi grâce à telnet que les étudiants du monde entier participent aux jeux multi-utilisateurs (Mud) et que je peux en quelques commandes, demander au Well de me connecter au catalogue de la Bibliothèque du Congrès. « Telnet » est utilisé couramment comme syntagme verbal sur le Réseau, comme dans la phrase « telnettez sur well.sf.ca.us, vous verrez, ça vaut le déplacement. »

[NdT 52] Grâce à cette convention, il est possible de se connecter à un serveur en tant qu'invité, sans y avoir soi-même de compte.

Du fait de sa croissance anarchique, les informations du Réseau ne sont pas organisées de manière rationnelle, comme dans une bibliothèque. Au fur et à mesure que les nouveaux sites se relient à Internet, en apportant souvent des quantités d'informations et de ressources importantes, il devient de plus en plus difficile de faire l'inventaire de ce qui est disponible et de s'y retrouver. De nouvelles générations de logiciel s'efforcent de résoudre ce problème ; ainsi un nouvel outil, hytelnet, est actuellement sur le Réseau. Ce programme, exécuté sur votre hôte Internet, transforme le Réseau en une série de menus dans lesquels on navigue à l'aide des touches fléchées de son clavier. Le nom de ce programme est une juxtaposition du nom de l'utilitaire qui sert à passer d'un ordinateur à un autre sur Internet et des premières lettres d'un concept fameux dans l'histoire de l'informatique.

Ce concept, l'hypertexte, a été imaginé par Ted Nelson dans les années 60 et mis en application pour la première fois par Engelbart dans le cadre du SRI. Il s'agit de lier plusieurs textes entre eux de manière intelligente et pratique. Lorsque, en cours de lecture d'un texte à l'écran de votre ordinateur, vous rencontrez une référence à un autre texte, il suffit de cliquer sur celle-ci à l'aide de la souris pour que le texte auquel il est fait référence s'affiche intégralement. Vous pouvez ensuite revenir au premier document, ou bien poursuivre l'exploration des enchaînements de textes. Dans une version un peu plus avancée de l'hypertexte, ce ne sont plus seulement les références bibliographiques qui servent de lien, mais les mots du texte susceptibles de réclamer une explication ou un approfondissement. Lorsqu'en plus du texte, on met en jeu des images, des séquences vidéo, des sons, on a affaire à de l'hypermédia, mais la notion de liens qui permettent de passer d'un document à un autre de manière quasi automatique reste centrale.

Grâce à un programme assez simple qui permet à l'utilitaire telnet d'exploiter les touches fléchées des claviers d'ordinateurs, hytelnet transforme Internet en une base d'hypertexte rudimentaire.

Lorsque je me connecte au Well, que je fournis mon mot de passe, que je demande l'accès à Internet, et que je tape la commande hytelnet à mon clavier, le menu suivant s'affiche sur mon écran. Comme hytelnet est distribué gratuitement partout sur le Réseau, vous êtes des millions à pouvoir utiliser la même commande pour bénéficier du même service. Le premier menu a l'apparence suivante53 :

[NdT 53] Les menus d'Internet décrits par Howard Rheingold sont tous en anglais. Nous les livrons traduits en français, en conservant les mots clés d'origine.

 

Qu'est-ce qu'HYTELNET?         <WHATIS>
Catalogues de bibliothèques    <SITES1>
Autres ressources              <SITES2>
Aide sur les catalogues        <OP000>
Interfaces pour catalogues     <SYS000>
Glossaire Internet             <GLOSSARY>
Trucs sur telnet               <TELNET>
Touches de commande            <HELP>

Flèches vert.=DEPLACER     Flèches hor.=CHOISIR
m = Retour à ce menu       q = Quitter

HYTELNET 6.3, a été écrit par Peter Scott en 1992,
bibliothèque de l'U de Saskatchewan, Saskatoon, Sask, Canada.
Logiciel Unix et VMS par Earl Fogel, Service informatique,
U de S, 1992


Il faut comprendre que ce niveau supérieur peut déboucher sur d'autres niveaux de menus, et ainsi de suite, et qu'il pourrait falloir toute une journée pour visualiser tous les niveaux. J'étais, quant à moi, curieux de voir ce que recouvrait la rubrique « Autres ressources » ; j'appuyai donc sur la touche «flèche en bas» de mon clavier jusqu'à ce que la mention <SITES2> soit sélectionnée, puis j'appuyai sur la touche «flèche à droite» pour accéder au sous-menu correspondant :


<ARC000>  Archie: liste des serveurs d'archives
<CWI000>  Systèmes d'information intercampus
<FUL000>  Bases de données et bibliographies
<DIS000>  Serveurs de fichiers répartis (Gopher/Wais/WWW)
<ELB000>  Livres électroniques
<FEE000>  Services payants
<FRE000>  Systèmes Free-Net
<BBS000>  Forums généraux
<HYT000>  Versions d'Hytelnet
<NAS000>  Bases de données de la Nasa
<NET000>  Services d'information sur le Réseau
<DIR000>  Annuaires/Pages blanches/Whois
<OTH000>  Ressources diverses

 

Juste pour m'amuser, je décidai de voir ce qui était proposé sous l'intitulé « Bases de données de la Nasa » ; j'obtins le menu suivant :

<NAS013>  Centre de données astronomiques
<NAS015>  Images numérisées des zones cotières
<NAS010>  Service électronique d'information Cosmic
<NAS006>  ENVIROnet (environnement et espace)
<NAS014>  Base de données internationale Cedar
<NAS001>  Base de données extragalactiques Nasa/Ipac
<NAS002>  Données et informations électroniques NSSDC
<NAS005>  Données du NSI (Nasa Science Internet)
<NAS003>  Nasa Spacelink
<NAS008>  Centre national de données spatiales (NSSDC)
<NAS009>  Système pilote de données topographiques
<NAS007>  PDS (système de données planétaires)
<NAS017>  Service d'information du SDC
<NAS016>  Informations sur les normes et technologies

 

Quand on pense qu'il me suffit de continuer à « descendre » dans la hiérarchie des menus pour trouver des milliers de pages ou d'images de la Nasa à consulter, ou bien que je peux « remonter » d'un niveau ou deux pour aller consulter les catalogues de toutes les bibliothèques des universités qui sont sur le Réseau, on comprend que cette présentation toute simple par menus permet déjà une navigation rudimentaire mais systématique au sein de ses ressources. Si de nouveaux programmes pouvaient assurer le suivi des ressources ajoutées chaque jour au Réseau, les classer dans la catégorie appropriée et présenter les menus mis à jour à l'utilisateur, il ne serait pas gênant que la croissance dudit Réseau continue à être de type anarchique. Dans un système en perpétuelle mutation, le travail d'ordonnancement n'a pas besoin de porter sur la manière dont sont conservées les informations, mais sur le processus de recherche de celles-ci.

ftp est le sigle correspondant à file transfer protocol,54 un tel protocole permettant, comme son nom l'indique, la transmission des fichiers entre différents ordinateurs du Réseau. Si je dispose d'un compte sur un service comme le Well, je peux, par exemple, m'en servir comme relais : je navigue rapidement à travers plusieurs ordinateurs connectés au Réseau, et lorsque je remarque des textes, des images, des sons, ou des programmes qui m'intéressent, j'utilise ftp pour les importer à haut débit sur mon compte du Well. Je peux ensuite quitter Internet et rapatrier à plus bas débit les fichiers du Well sur mon micro-ordinateur. Comme pour telnet, il existe des utilitaires qui transforment les listes de fichiers disponibles sur tel ou tel ordinateur du Réseau en hiérarchie de menus et qui font appel automatiquement à ftp lorsqu'on sélectionne un fichier à importer.

[NdT 54] Protocole de transfert de fichier.

Cette possibilité d'opérer des transferts à très haut débit de machine à machine multiplie la quantité de ressources disponibles pour chacun. Pourquoi conserver un document sur son micro-ordinateur lorsqu'on sait qu'on peut l'importer en quelques secondes d'une machine située à Düsseldorf ou à Tallahassee (Floride) ? L'important, c'est de savoir où on peut le trouver, ou mieux, de savoir comment savoir où le trouver. Une forme répandue de transfert ftp, le « ftp anonyme », a fait apparaître sur le Réseau une certaine éthique, en vertu de laquelle les communautés qui mettent des ressources à disposition de tous les utilisateurs (sans besoin de mot de passe) méritent notre reconnaissance. Notons aussi que la décentralisation des ressources est telle, que la centralisation de leur contrôle est impensable.

Lorsqu'un journaliste de Houston révéla que des sites Internet du Texas contenaient des images pornographiques — qu'ils proposaient à côté des documents plus sérieux de la Cour suprême et de la Bibliothèque du Congrès —, les archives du très notoire groupe Usenet « alt.sex.pictures » furent instantanément déplacées en Finlande. D'un jour à l'autre, la charge du Réseau sur les tronçons reliant l'Amérique à la Finlande augmenta de manière significative. Quand on évoque les images pornos, la question de la censure et des comportements sur le Réseau ne peut manquer d'être soulevée, mais ce qui compte ici, c'est la claire illustration de la dilution géographique entraînée par le Réseau : il est difficile de dire « où » exactement un document se trouve, et tout document peut très bien exister en de multiples exemplaires sur le Réseau.

Ce dernier peut servir à distribuer des programmes qui permettent de mieux se servir du Réseau aussi bien que des services de communication ou d'information, ce qui signifie qu'il est en constante mutation à mesure que des individus conçoivent ces nouveaux utilitaires et les diffusent. Lorsque les logiciels qui constituent le Réseau sont améliorés, les utilisateurs en bénéficient directement. IRC, le programme qui met à disposition des utilisateurs d'Internet des « canaux » de convivialité en temps réel, a été conçu en Finlande. Les jeux multiutilisateurs Multi-User Dungeons (Mud) ont été créés à l'origine par une université anglaise.

Pour les hackers originels du MIT — ceux qui ont contribué à l'invention du temps partagé —, l'éthique était que les programmes utilitaires fussent gratuits. Les premiers créateurs de micro-ordinateurs furent scandalisés lorsque William Gates, aujourd'hui l'homme le plus riche d'Amérique, commença à vendre le langage de programmation Basic, que les amateurs d'informatique s'étaient jusque-là refilé gratuitement. Le logiciel est maintenant un secteur économique à part entière et Microsoft a dépassé en envergure General Motors, mais le Réseau continue à croître grâce aux dons faits à la communauté par des programmeurs talentueux. Au niveau amateur, dans le monde des BBS qui est en marge du Réseau, les programmes télématiques qui permettent la communication sont eux aussi distribués gratuitement ou à très faible prix.

Même si l'on souhaite, en proposant des services télématiques, faire plus tard des bénéfices, il est judicieux d'offrir l'accès gratuit au départ pour atteindre rapidement une masse critique d'utilisateurs. Les pionniers de la télématique en Amérique voulaient simplement faire communiquer de larges populations d'individus ; la richesse qu'ils recherchaient, ce n'était pas celle créée par des droits d'accès, mais plutôt la richesse intellectuelle, le bien collectif qu'une communauté pouvait générer. La tradition des utilitaires de réseau gratuits s'est perpétuée. Aujourd'hui, les programmes qui font office de serveurs personnels d'information et évitent aux utilisateurs d'affronter les complexités du réseau commencent à être disponibles, toujours gratuitement. Comme les Muds, l'IRC, Usenet, ou les programmes qui transforment un micro-ordinateur en BBS, ces utilitaires sont offerts à la communauté et diffusés par l'intermédiaire même du Réseau.

Quand on décide d'utiliser les ressources du Réseau pour importer le texte intégral de livres conservés à la Bibliothèque du Congrès, on se heurte à deux obstacles. Tout d'abord, seule une petite partie des ouvrages et des archives est sur ordinateur, et si le processus de numérisation nécessaire pour mettre toutes ces informations sur le Réseau n'est plus très coûteux, il reste long. La Bibliothèque du Congrès croît en volume à un rythme bien plus rapide que celui de la numérisation des ouvrages. Il est clair que tant que l'on n'aura pas amélioré radicalement les techniques de numérisation, des individus devront sélectionner les documents jugés suffisamment importants pour être convertis ; malgré ces contraintes, le volume de données numérisées chaque jour est étonnant. Connectez-vous par telnet sur lib.dartmouth.edu, par exemple, et tapez « connect dante » à la première invite : vous avez accès au texte intégral de la Divine Comédie de Dante et de plusieurs siècles de commentaires sur cette œuvre. Ou bien utilisez le Wais (Wide Area Information Server) pour retrouver les paroles d'une chanson qui vous trotte dans la tête.

Le deuxième obstacle à l'acquisition de documents sur le Réseau est moins un problème technique qu'un problème de société : c'est celui de la propriété intellectuelle. Les meilleurs livres, photos, chansons, articles ou séquences vidéo sont en bonne partie la propriété de quelqu'un. Comment déterminer et recueillir des royalties dans un monde où l'on peut copier n'importe quoi à l'aide d'une seule commande au clavier et quand une bibliothèque entière peut être importée de n'importe où en quelques minutes ? Ted Nelson, l'inventeur du terme hypertexte, eut dans la années 60 la prescience de ce problème et proposa une manière de le résoudre. Xanadu, comme il appelait ce projet, devait être une base de données de toute la production littéraire mondiale au sens large, y compris les libres contributions que quiconque voudrait y faire ; les lecteurs auraient accès à tous les documents, et pour chaque accès, le système déduirait une somme minime de leur compte pour la verser au compte de l'auteur du document. Xanadu, qu'on estime généralement être le plus ancien projet logiciel encore en cours d'étude, n'a pas été enterré. Et le problème auquel il s'attelait à l'époque existe toujours.

La quantité d'information disponible ou potentiellement disponible sur le Réseau et appartenant au domaine public — c'est-à-dire soit les informations créées avec des fonds publics, soit celles dont le copyright a expiré — est énorme. Et grâce aux efforts d'un autre passionné du Réseau et des volontaires qu'il a sollicités dans le monde entier, de plus en plus d'ouvrages littéraires du domaine public se trouvent sur le Réseau. Michael Hart, professeur d'écriture électronique à l'université de Benedictins (Illinois), est le responsable du Projet Gutenberg, qui vise à ajouter dix mille volumes de littérature tombés dans le domaine public au Réseau d'ici l'an 2001. Lui et ses troupes ont déjà numérisé et exporté Moby Dick, Les Fables d'Ésope, Alice aux pays des merveilles, les œuvres complètes de Shakespeare, le dictionnaire des synonymes anglais Roget's International Thesaurus, et bien d'autres. Partout dans le monde, des volontaires se servent de scanners pour convertir le texte imprimé en fichiers d'ordinateurs. L'ensemble double de volume chaque année.

Pour savoir si un médicament a été autorisé récemment en Amérique, vous pouvez telnetter sur fdabbs.fda.gov et vous connecter sous le nom bbs pour vous retrouver sur un micro-serveur relié à Internet et contenant les informations les plus à jour sur les actions de la FDA.55 À madlab.sprl.umich.edu, sur le port 3000, on trouve toutes les informations météorologiques pour les États-Unis et le Canada, proposées par l'intermédiaire de menus. Des informations précises et récentes concernant l'agriculture, la séismologie, la qualité de l'eau, les brevets, la généalogie, et des informations d'archives médicales, scientifiques et universitaires sont à la disposition de tout utilisateur sachant les trouver et connaissant les incantations magiques nécessaires pour les transférer du serveur d'origine au micro-ordinateur. Complexités diverses et incertitudes variées font de l'exploration du Réseau une aventure parfois un peu mystérieuse. Tout change si vite que le folklore, l'équivalent électronique de la tradition orale, est le seul recours fiable pour apprendre ce qui est nouveau sur le Réseau. En flânant de site à site, ou en se procurant un des nombreux guides d'Internet qui ont parus récemment, on se rend compte qu'il existe des listes de listes de ressources.56 Les citoyens du Réseau et ses architectes autoproclamés se chargent de compiler ces listes de ressources, de les tenir à jour et de les publier régulièrement.

[NdT 55] Food and Drug Administration, ou Bureau des aliments et des médicaments, l'instance américaine qui contrôle les produits alimentaires et attribue les autorisations de mise sur les marché des médicaments.
[NdT 56] Ce qui n'est pas si étonnant dans un pays qui a inventé il y a quelques décennies les catalogues de catalogues !

Tout le monde en convient, le Réseau véhicule une quantité astronomique d'informations, et il est urgent d'y mettre un certain ordre. La tête nous tourne face à toutes les options qu'il propose. Ce dont nous avons besoin, c'est de médiateurs entre les possibilités qu'il offre et notre capacité d'absorption.

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Des réponses à cette incroyable complexité du Réseau commencent à apparaître sur le Réseau lui-même. Archie, par exemple (jeu de mots sur le prénom Archibald et le mot archive), est un programme qui sert à retrouver des fichiers, développé par Peter Deutsch, de l'université McGill de Montréal. Si vous êtes connecté directement à Internet, vous pouvez telnetter sur l'un des serveurs Archie de la planète. Si vous ne disposez pas d'une connexion directe à Internet, vous pouvez envoyer un message électronique à un de ces serveurs. La base de données d'Archie garde trace de tous les fichiers mis à disposition du public en ftp anonyme. Archie connaît donc des dizaines de milliers de fichiers répartis dans quarante-cinq pays. Si vous connaissez le nom d'un fichier, intégralement ou partiellement, vous pouvez demander à Archie où il se trouve ; celui-ci consulte sa base de données et vous renvoie la liste de tous les sites qui proposent ce ou ces fichiers. Je me suis moi-même servi d'Archie pour explorer le Réseau. Demandez-lui de trouver un fichier représentatif des informations qui vous intéressent ; explorez ensuite un par un les sites qu'il vous indique en utilisant ftp pour consulter leurs index, car s'ils proposent ce fichier, il y a de fortes chances qu'ils disposent d'autres informations dans le même domaine.

N'oubliez pas que la puissance de calcul des grands ordinateurs qui composent le Réseau est souvent mise à profit pour ces recherches. Toutefois, si cette puissance est suffisante lorsqu'il s'agit de compiler des listes de noms de fichiers et d'assurer le suivi de leur localisation, elle l'est moins quand on souhaite rechercher des mots clés à l'intérieur même des textes des documents. Un autre visionnaire du Réseau, Brewster Kahle, a conçu un utilitaire de recherche en texte intégral qui peut explorer des centaines de bases de données et de bibliothèques pour retrouver des informations spécifiques. Cet utilitaire, développé en collaboration par Kahle, l'Agence Dow Jones, Thinking Machines, Apple Computer et les consultants KPMC Peat Marwick, est proposé gratuitement sur le Réseau et s'appelle Wais, acronyme de Wide Area Information Servers.57 Thinking Machines est une société du Massachusetts qui produit des ordinateurs extrêmement puissants en mettant en réseau un grand nombre d'ordinateurs plus modestes ; pour tenir à jour un index gigantesque et pour effectuer rapidement des recherches dans un tel index, il est en effet nécessaire de s'appuyer sur une puissance de calcul élevée. Cet index étant conservé sur le superordinateur de Thinking Machines, dans le Massachusetts, le programme Wais qui se trouve sur votre hôte Internet (qu'on appelle le programme « client ») fait appel au programme Wais serveur de Thinking Machines pour explorer cet index.

[NdT 57] Serveurs d'information á longue portée.

Supposons que vous interrogiez Wais sur, mettons, les jardins japonais. En quelques secondes, vous obtenez une liste de plusieurs centaines ou de plusieurs milliers de références. Choisissez-en trois, qui concernent plutôt l'esthétique des jardins japonais et demandez à Wais de refaire une recherche à partir de ce critère-là. Grâce à cette interaction, vous pouvez progressivement affiner votre recherche.

D'autres expériences en cours, comme le projet Knowbots, consistent à lancer des serviteurs logiciels sur le Réseau à la recherche d'informations particulières. Vinton Cerf, l'un des créateurs d'Arpanet, qui travaille en Virginie pour la Corporation for National Research Initiatives, développe des « robots » chercheurs d'information. Chaque knowbot58 est représenté à l'écran par une icône. L'utilisateur peut programmer et activer les knowbots en cliquant sur les icônes et en utilisant les menus qui leur sont associés. Ces menus débouchent sur une série de questions ; en y répondant, on définit la stratégie de recherche. L'agent logiciel se lance alors sur le Réseau, et fait appel à des utilitaires, comme Archie, Wais ou autres, pour repérer les informations demandées par l'utilisateur. Les knowbots disposent d'une certaine initiative et peuvent, par exemple, au cours d'une recherche, décider de détacher des clones d'eux-mêmes pour parcourir d'autres réseaux. Les premiers essais de ces knowbots se déroulent actuellement à la National Library of Medecine. La bibliothèque électronique de cet organisme comprend quarante bases de données et 80 milliards de bits d'information.

[NdT 58] Néologisme (prononcé « nobotte ») formé par la contraction de knowledge (connaissance) et de robot.

Un autre utilitaire qui m'a beaucoup séduit et que j'ai eu envie de m'approprier s'appelle Rosebud ; une démonstration m'en a été faite par mon ami Steve Cisler, le documentaliste d'Apple Computer. Tirant probablement son nom du fameux mot emblématique de Citizen Kane, Rosebud est un projet expérimental financé par Apple et par l'Agence Dow Jones. Il s'agit d'un journal électronique personnalisable qui explore le Réseau pour vous rapporter les articles qui vous intéressent. Il devrait être commercialisé prochainement par Apple sous le nom d'AppleSearch.

Pour commencer, vous formez des agents analogues aux knowbots que nous venons de voir, et qui s'appellent des reporters. Vous prenez un reporter « novice », vous lui dites qu'il doit consulter les fils d'agences de presse et les bases de données toutes les vingt-quatre minutes ou tous les vingt-quatre jours, et noter toutes les références aux communautés virtuelles. Vous pouvez modifier indépendamment l'intervalle entre deux recherches et l'intervalle entre deux publications de votre journal, et combiner les mots clés par opérateurs booléens (et, ou, mais pas, etc.). Vous pouvez aussi constituer votre propre liste des agences de presse et des bases de données à consulter. Sélectionnez ensuite un autre reporter novice et chargez-le d'aller chercher toute dépêche comportant, en titre ou dans le texte, les mots démocratie électronique. Une fois formés tous les reporters dont vous avez besoin pour suivre les sujets qui vous intéressent, vous les lâchez sur le Réseau. Ils se servent de toutes les ressources disponibles, ainsi que de vos codes d'accès personnels aux services d'information payants, et relèvent tous les articles qui correspondent aux critères que vous avez spécifiés. Lorsque vous ouvrez votre journal électronique, Rosebud vous présente tous les articles qu'il a rapportés, organisés, comme dans un vrai journal, en colonnes avec titres et sous-titres si nécessaire.

À en juger par la multiplication croissante des utilitaires de ce type, on peut penser que des populations entières de robots chercheurs circuleront bientôt sur le Réseau. Ces entités s'apparentent plus à des automates qu'à des créatures vivantes, mais de plus en plus, les automates sont conçus pour incorporer des comportements propres au vivant. Les « vers » qui attaquent les réseaux et les « virus » qui infectent les micro-ordinateurs représentent le côté sombre, voire malfaisant, de cette tendance. Les knowbots et Rosebud en sont les représentants bienfaisants.

Gopher est un autre de ces nouveaux utilitaires du Réseau, proposé dans l'environnement Campus Wide Information System.59 Ce n'est pas tant un agent qui parcourt le Réseau à votre service qu'une carte, une sorte de plan de métro. Avec Gopher, il suffit de cliquer sur un endroit représenté sur la carte pour que celui-ci vous y amène. La plupart des universités américaines étant désormais connectées à Internet, il devenait nécessaire de fournir aux étudiants non spécialisés en informatique le moyen de trouver sur le Réseau les informations pertinentes pour leur cursus. Gopher, développé à l'université du Minnesota et portant le nom de sa mascotte,60 se charge pour l'étudiant d'utiliser telnet et ftp pour aller chercher un document. Il masque le langage de commande de ces utilitaires et le remplace par des menus et des mots clés. Les ressources que Gopher peut exploiter ne sont toutefois que des sous-ensembles de celles du Réseau (on les appelle des gopherspaces), situés sur les campus des universités américaines et de certaines universités d'autres pays. Ces sous-ensembles sont en progression constante, et désormais, avec un logiciel client fonctionnant sur votre micro-ordinateur, vous pouvez cliquer sur un point d'une carte et avoir accès aux ressources correspondantes.

[NdT 59] Système d'information intercampus.
[NdT 60] Le gopher est un animal nord-américain voisin de l'écureuil que nous appelons spermophile. Le nom du programme joue également sur les mots, puisque gofer désigne en argot américain le garçon de courses (de Go for..., c'est-à-dire « Va chercher... »).

Les informations disponibles sur le Réseau ne se limitent pas à celles que l'on trouve dans les énormes bases de données. Le Réseau est constamment nourri de données nouvelles et ses « capteurs » n'en finissent plus de se multiplier. L'actualité du monde entier — les nouvelles, les reportages, les cours de bourse — se trouve désormais sur ses canaux depuis que les agences de presse ont connecté leurs « fils » à Internet. Ce dernier vous amène même jusqu'à l'entrée de la plupart des services d'information payants, comme le service Dow Jones ; pour avoir accès à ceux-ci, vous devez néanmoins y ouvrir un compte.

Mais le Réseau, ça n'est pas seulement Internet. On pourrait fermer demain tous les ordinateurs hôtes d'Internet, des millions de gens trouveraient tout de même le moyen d'échanger du courrier électronique et de participer à des forums de discussions télématiques. Le Réseau, ce sont aussi des centaines de petits réseaux au niveau local qui se recoupent partiellement et qui ont bénéficié des fruits de la recherche Arpa. Ils participent bien plus d'un esprit de convivialité, de mordus, que de buts militaires ou industriels. L'héritage direct d'Arpanet, c'est la partie du Réseau la plus visible et la plus en avance techniquement, mais ce n'est pas la seule qui compte. Deux autres mouvements ont contribué à faire du Réseau ce qu'il est devenu : le mouvement populaire des BBS (Bulletin Board Systems), ou micro-serveurs, qui a démarré dans les années 80 et l'évolution des discussions de groupe, précurseurs des forums électroniques ayant abouti à Usenet, qui en est de loin l'avatar le plus imposant, le plus libre, et le plus « bruyant ».

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