Cliquez pour m'envoyer un message

Chapitre Quatre
DES FORUMS DE DISCUSSION POUR TOUS
Cliquez pour retrouver, en bas de cette page, des boutons de navigation

« On croirait voir un cerveau collectif en pleine ébullition ! » m'étais-je exclamé lors de ma première visite à Matthew McClure, au siège du Well. Il avait dû trouver ce commentaire un peu trop naïvement enthousiaste, mais n'avait pas manifesté de désaccord. Le sentiment de participer personnellement à une réflexion collective visant à résoudre tel ou tel problème pratique — qu'il s'agisse de retirer une tique du cuir chevelu de ma fille ou d'éclairer les choix des décideurs de la nation quant au futur réseau public — m'électrisait.

Ce qui est fascinant, c'est de voir à quel point des groupes d'individus, grâce à la télématique, redécouvrent tous les bénéfices de la collaboration, qui tourne au jeu, et même au mode de vie, avec ses manifestations diverses : mise en commun de connaissances, émergence de relations sociales, et apparition de phénomènes de communion. Que nous ayons besoin des ordinateurs et des réseaux pour retrouver ce sens de la solidarité que nous semblons avoir perdu en grande partie à cause des techniques modernes est d'une douloureuse ironie. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'être amené par nécessité à rester assis face à un écran constitue un « progrès » par rapport aux obligations d'antan qui nous faisaient devoir, par exemple, de construire nos maisons nous-mêmes. En gagnant du progrès technique, nous avons perdu notre sens de la communauté, dans bien des contrées du monde, et dans la plupart des cas, les technologies ont accéléré cette perte. Tout cela ne veut pas dire qu'il faille condamner l'utilisation des ordinateurs pour promouvoir de nouvelles formes de coopération.

Les forums électroniques ont continué à se développer pendant toutes ces années car ils rendaient effectivement service à ceux qui les utilisaient, ces chercheurs d'élite qui réfléchissaient aux scénarios de guerre atomique et ces fonctionnaires qui s'occupaient à coordonner les réactions aux catastrophes naturelles. Pendant plusieurs années, ils furent les seuls à faire partie de groupes de discussion télématiques, le temps que les progrès de l'informatique et des réseaux rendent plus aisée la mise en œuvre de tels systèmes. Auparavant, les ordinateurs étaient très chers, il fallait écrire soi-même ses logiciels, et ce qu'on demandait à la télématique était de toute façon bien souvent de l'ordre du confidentiel défense.

Aujourd'hui, exploitées au bénéfice du plus grand nombre — les millions de lecteurs-contributeurs de Usenet et les dizaines de milliers de micro-serveurs peuvent en attester —, ces possibilités de communication à plusieurs pourraient bien favoriser l'émergence d'une organisation sociale bien plus démocratique que celle d'hier. Les forums de discussion pour tous, leur influence sur le monde qui nous entoure, voilà peut-être, au tournant du siècle, la conséquence inattendue du progrès technique.

Pour mieux apprécier quelle direction doivent prendre les forums télématiques, il est bon de revenir à leur origine. Là encore, on constate que cette nouvelle technique tient ses caractéristiques du parti pris de ses inventeurs, qui pensaient qu'elle devait servir le plus grand nombre. D'autres analogies existent entre le développement des forums télématiques et celui d'autres innovations qui contribuèrent à l'apparition du Réseau. Comme ces dernières, les moyens de communication à plusieurs évoluèrent lentement jusqu'à ce que la convergence de technologies catalyses fasse exploser leur croissance. Comme pour elles également, l'utilisation des forums était réservée à l'origine aux applications militaires et gouvernementales, avant de s'ouvrir aux autres chercheurs scientifiques, puis aux universitaires non scientifiques ; aujourd'hui, l'accès libre à ces forums peut-il être étendu aux enseignants, aux élèves, à tous les citoyens ? C'est un des grands débats d'aujourd'hui.

Un des pionniers de la télématique, Jacques Vallee, indique dans son ouvrage prophétique paru en 1982, The Network Revolution, que la première tentative de création d'un moyen de communication de groupe eut lieu lors de la crise de Berlin en 1948. On s'efforça à cette époque de relier entre eux des terminaux télex d'une dizaine de pays, mais tout le monde essayant de communiquer simultanément dans des langues différentes, ce fut un échec. En 1970, Arpanet était inauguré et avec lui, de nouveaux outils permettant la prise de décision en groupe par des individus dispersés géographiquement et non présents simultanément.

Comme la commutation par paquets, les forums électroniques doivent en partie leur existence au travail de réflexion sur la guerre atomique. Vers la fin des années 60, Murray Turoff planchait sur les jeux de guerre et autres simulations par ordinateur pour l'Institute for Defense Analysis. Dans certains de ces jeux, plusieurs joueurs participaient à distance par ordinateur. Ce qui conduisit Turoff à essayer d'user de ces mêmes moyens pour mettre en œuvre une technique de consultation d'experts développée par la Rand et connue sous le nom de méthode Delphi. Il s'agissait d'une méthode formelle de sollicitation anonyme d'idées et de contre-idées auprès d'un groupe d'experts ; une combinaison, en quelque sorte, de travail de groupe et de sondage d'opinions. Il fallait se faire passer d'innombrables messages sur papier dans un ordre bien défini. Turoff entreprit donc d'informatiser Delphi et s'aperçut, ce faisant, que la technique pouvait s'appliquer à bien d'autres domaines.

Au début des années 70, Turoff rejoignit le bureau américain de l'organisation des secours, pour occuper un poste qui n'était pas en relation avec ses travaux sur les forums électroniques. Ses patrons s'aperçurent qu'il se servait de son terminal d'ordinateur pour expérimenter un système de conférence électronique non autorisé, et n'apprécièrent que modérément la chose. Le hasard s'en mêla toutefois, avec le gel des prix et des salaires de 1971 décidé par le gouvernement Nixon, qui nécessitait un système capable de collecter du jour au lendemain des données disséminées dans tout le pays. Le prototype de Turoff y gagna le statut de projet autorisé, et l'expérience d'informatisation de Delphi devint Emisari (Emergency Management Information System and Reference Index).61

[NdT 61] Système d'information et index de référence pour la gestion des urgences.

On peut dire qu'avec le NLS (oNLine System) d'Engelbart, Emisari est l'ancêtre des forums électroniques d'aujourd'hui. Ce système servit à collecter les données de quarante agences régionales du fisc et des services économiques du gouvernement, et à organiser des réunions de trente à cent experts pour déterminer les modalités de ce gel des prix et des salaires. Emisari devint par la suite Rims (Resource Interruption Monitoring Systems)62 et continua à être utilisé pendant des années par la Federal Preparedness Agency comme outil de gestion des crises et de prise de décision à distance.

[NdT 62] Systèmes de surveillance des ruptures de ressources.

Au cours de l'élaboration d'Emisari, ses concepteurs et ses premiers utilisateurs se rendirent compte que certaines fonctionnalités étaient plus appréciées que d'autres, alors qu'elles n'étaient pas particulièrement importantes par rapport à l'objet premier du système. Ainsi, grâce à la fonctionnalité appelée simplement « Messages », tout utilisateur du système pouvait laisser un message lisible par tous les autres sur une sorte de tableau noir électronique. On pouvait ensuite revenir voir si le message avait suscité des réponses. Messages et réponses proliférèrent si rapidement, que des utilisateurs se mirent à écrire des programmes destinés à les trier automatiquement. Lorsqu'on met en œuvre un tableau noir électronique de ce type, on donne à tout un chacun la possibilité de publier des textes. Lorsqu'on opère en plus des tris sur ces messages, ce sont des groupes de réflexion que l'on commence à structurer, la mémoire collective d'individus qui communiquent entre eux.

Le Centre de recherche en augmentation intellectuelle californien (Arc) d'Engelbart avait travaillé en parallèle dans ce même domaine depuis les années 60, mais son champ d'action était bien plus large que celui d'Emisari. Lorsqu'Engelbart fit une démonstration mémorable, en 1968, de ce type d'application, il présenta un système qui reliait des individus par l'intermédiaire de claviers et d'écrans, et qui permettait à chacun de mêler sur son terminal conversations vocales, fenêtres vidéo en temps réel, et échange de messages écrits. Engelbart travaillait à transformer les ordinateurs en outils d'aide à la réflexion. Il devait encore s'écouler seize ans avant que le Macintosh d'Apple mette un petit sous-ensemble de ces outils à la disposition du consommateur ; et seule une faible minorité d'utilisateurs de micro-ordinateurs disposent aujourd'hui des fonctionnalités dites multimédias pourtant présentées en 1968 par Engelbart.

Les recherches de Turoff, en revanche, étaient focalisées sur un sous-domaine du champ de celles d'Engelbart. Les fonctionnalités de conférence électroniques de NLS étaient puissantes, mais elles demandaient à être approfondies pour aboutir à des systèmes pratiques de forum. Turoff s'appliqua à structurer les échanges de messages en fonctionnalités de dialogue. Après avoir terminé Emisari, il quitta le Bureau d'organisation des secours pour le New Jersey Institute of Technology, au sein duquel la NSF (National Science Foundation) le finança pour qu'il réalise un système télématique utilisable par les chercheurs et les enseignants.

Voici ce que Turoff écrivait en 1976 :

Je pense que le but ultime des forums électroniques est de proposer aux groupes d'individus le moyen d'exercer une « intelligence collective ». Faire appel à l'ordinateur pour cela est relativement nouveau. En principe, le groupe, lorsqu'il fonctionne, déploie une intelligence supérieure à celle de n'importe lequel de ses membres. Au cours des prochaines décennies, les forums électroniques permettant à un groupe de traiter tel problème complexe comme un seul cerveau collectif apporteront peut-être plus à l'humanité que tous les travaux menés jusqu'ici sur l'intelligence artificielle.

C'est en 1976 que fut mis en service le « Système électronique d'échange d'informations » (Electronic Information Exchange System, ou Eies, prononcé comme le mot anglais Eyes, les yeux), et cet ancêtre des communautés virtuelles — de près de dix ans plus vieux que le Well — existe encore aujourd'hui comme nœud du Réseau. Financé par la NSF, il devait être « un laboratoire de communication électronique utilisable par des communautés de chercheurs géographiquement dispersées ». En juillet 1978, sept de ces systèmes expérimentaux étaient en service, utilisés chacun par une communauté de chercheurs de dix à cinquante membres. Le système était conçu pour enregistrer des statistiques sur son propre fonctionnement, de manière à vérifier s'il pouvait réellement améliorer l'efficacité de la recherche scientifique. Eies, comme Arpanet, était un banc de test des forums électroniques.

Comme il était conçu pour être auto-documenté63 et reconfigurable pour s'adapter aux besoins de ses différentes populations d'utilisateurs, Eies, tout comme NLS, n'était pas très facile à utiliser. Les services de forums électroniques d'aujourd'hui ne le sont pas beaucoup plus : en matière de « convivialité », de simplicité d'emploi, ces systèmes en sont encore au point où en étaient les ordinateurs avant l'apparition des icônes et de la souris. C'est seulement très récemment que sont apparus des logiciels permettant de masquer la complexité des commandes du Réseau et d'y naviguer à la souris. Cela dit, problème d'interface ou pas, lorsqu'on commence à maîtriser l'utilisation des services offerts par un serveur télématique, on acquiert un net supplément de pouvoir. Certaines commandes ne peuvent être traduites en clics de souris. La communication est un des systèmes les plus complexes qui soit. Comme le répétait souvent Engelbart quand il évoquait NLS : « Si la simplicité d'emploi était le seul critère valable, on en serait resté au tricycle au lieu de passer à la bicyclette. »

[NdT 63] C'est-à-dire dépourvu de mode d'emploi, les explications sur son fonctionnement se trouvant intégrées au programme lui-même.

Comme Arpanet, Eies est une expérience qui ne prit jamais fin tant ses utilisateurs expérimentaux s'y étaient attachés. Eies s'étendit rapidement au-delà des seules communautés scientifiques pour toucher les chercheurs juridiques et médicaux. Certains utilisateurs initiaux d'Eies conçurent de nouvelles générations de forums électroniques à partir de leur expérience de ce premier système. Ainsi Eies constitua-t-il une manière de protocommunauté qui essaima sur tout le Réseau. Peter et Trudy Johnson-Lenz, par exemple, collaborèrent avec Harry Stevens, autre enthousiaste d'Eies de la première heure, pour développer — à l'aide du langage de programmation par script d'Eies — le système Legitec, pour le Bureau des technologies du Massachusetts. Et en 1979, Harry Stevens et d'autres créèrent le système de forums électroniques Participate pour un service télématique qui venait de se créer, The Source. Participate était conçu pour permettre de courtes discussions, structurées selon le modèle question-réponse, dans lesquelles on pouvait par la suite rechercher telle ou telle information qui avait été donnée. Sur The Source, ce système suscita une autre de ces communautés virtuelles originelles.

Les Johnson-Lenz inventèrent le terme de groupware,64 que se sont approprié depuis les éditeurs de logiciels commerciaux de travail en groupe. Mais ces anciens d'Eies poursuivirent pendant des années l'objectif un rien paradoxal de favoriser, grâce aux forums électroniques, non seulement l'émergence de communautés, mais celle d'un esprit de communion. Pendant des années, ils vécurent de peu, réinvestissant leur argent dans les meilleurs ordinateurs, programmant tous leurs logiciels, et créant toute une série de systèmes de forums télématiques. Leur but était de marier les techniques de communication douces prônées par le mouvement humaniste des années 70 et les possibilités de la télématique. Vers la fin des années 80, j'ai participé à l'une de leurs expériences pendant quelques mois. Leur communauté, à laquelle s'attachait clairement une dimension spirituelle, s'appelait Awaken.65

[NdT 64] Logiciel de travail en groupe.
[NdT 65] L'éveil (sous une forme verbale qui peut être l'infinitif ou l'impératif).

Je connaissais Peter+Trudy (c'est ainsi que leurs amis télématiques orthographiaient collectivement leurs noms) depuis des années lorsque je les rencontrai pour la première fois. Lors d'un voyage en train que nous fîmes ensemble de Oita à Kyoto, dans le sud du Japon, je m'entretins avec eux de leur rôle de défricheurs de la télématique. Ils avaient utilisé les forums électroniques pendant des années pour promouvoir l'esprit de communauté et une communication améliorée.

« Cet effort vaut-il la peine d'être poursuivi ? », voilà la grande question à laquelle nous étions arrivés au moment où le train effectuait son dernier arrêt avant notre destination. Nous continuâmes la conversation, tout en regardant tous trois par la fenêtre, quelque chose de cette ville moyenne japonaise à l'architecture standard d'après-guerre nous paraissant vaguement familier. Ces collines qui entouraient la ville, cette butte centrale, je les avais vues sur d'innombrables photographies. Nous étions en gare d'Hiroshima. Le train reparti, nous restâmes silencieux pendant plusieurs minutes.

Les rêves d'utopies télématiques remontent aux origines d'Eies. En 1978, des décideurs, des artistes, des spécialistes de la prospective commencèrent à fréquenter ce serveur. Starr Roxanne Hiltz et Turoff publièrent un livre cette année-là, Network Nation, dans lequel ils prédisaient que ce moyen de communication ne serait bientôt plus réservé à quelques chercheurs et autres intellectuels. Ils indiquaient également les avantages et les défauts du média. Ils prévoyaient que les gens l'utiliseraient pour entrer en contact avec d'autres personnes partageant leurs centres d'intérêt et leurs valeurs. Ils entreprirent, les premiers, l'étude systématique de l'utilisation de la télématique par différents types de groupes et d'entreprises.

L'IFTF (Institute for the Future) était un autre groupe qui participait au développement de la télématique dans les années 70, à quelques rues du SRI. L'application des techniques informatiques à la planification paraissait d'intérêt stratégique à cette époque. La Darpa et la NSF financèrent un sous-groupe de l'IFTF pour qu'il développe un outil de planification et de prévision. Jacques Vallee avait collaboré au projet NLS au SRI, mais Roy Amara, Robert Johansen et lui souhaitaient réaliser un système utilisable par des non-techniciens. EIES et NLS étaient conçus pour tester les possibilités de l'informatique appliquée à la communication. Mais Planet, le réseau de planification (PLAnning NETwork) imaginé par l'IFTF, se voulait simple d'emploi pour les spécialistes de cette discipline qui n'avaient pas nécessairement d'expérience de l'informatique. Le jeu de commandes était extrêmement simplifié, de manière à pouvoir être utilisé par l'intermédiaire de quelques touches d'un terminal portable. Planet devint par la suite Notepad,66 un système privé de forums électroniques mondiaux encore utilisé aujourd'hui par un certain nombre de grandes entreprises comme la Shell. Johansen est toujours à l'IFTF et se consacre plus particulièrement au groupware.

[NdT 66] Le calepin.

Plusieurs initiatives de ce type, à la fin des années 70, contribuèrent à l'émergence spontanée et à la croissance rapide de réseaux populaires au début des années 80. En 1977, des programmeurs des Laboratoires Bell créèrent l'utilitaire UUCP (Unix-to-Unix Copy Program),67 qui commença à être livré avec les nouvelles versions d'Unix. Cet utilitaire permettait à tout ordinateur tournant sous Unix d'appeler par téléphone tout autre ordinateur Unix, de s'y connecter par l'intermédiaire d'un modem, et d'échanger des fichiers avec lui. Un peu plus tard, en 1979, la Telecomputing Corporation of America ouvrit un service télématique en exploitant les ressources inutilisées d'un ordinateur central situé en Virginie. La télématique était désormais ouverte à tous ceux qui disposaient d'un modem et étaient prêts à payer le coût du service. La société du Reader's Digest racheta cette entreprise en 1980 et la rebaptisa Source Telecomputing Corporation. À la fin 1982, au moment où je m'y inscrivis, la Source comptait plus de vingt-cinq mille abonnés et connaissait une croissance de mille abonnés par mois.

[NdT 67] Programme de copie de fichier d'une machine Unix à une autre.

Mon abonnement à la Source m'avait coûté 100 dollars de droit d'entrée et entre 7 et 22 dollars de l'heure à différents moments de la journée. C'est la Source — grâce à laquelle bon nombre d'entre nous firent pour la première fois l'expérience des forums électroniques —, et son concurrent, CompuServe, qui ouvrirent les premiers l'accès à la communauté électronique au public. Aujourd'hui, la Source a été absorbée par CompuServe, qui comprend désormais des centaines de milliers d'abonnés dans le monde.

Les années 1979 et 1980 furent particulièrement cruciales pour l'histoire de la télématique. Les grands serveurs comme la Source et CompuServe commencèrent à fonctionner, les premiers Muds firent leur apparition en Angleterre, les premiers BBS commencèrent à voir le jour en s'adressant à un public tout à fait différent, et deux programmeurs de Caroline du Nord se mirent à utiliser des variations d'UUCP pour échanger des messages plus structurés, ordonnés par thèmes, dans une sorte de conversation intercommunautaire. Les communautés d'utilisateurs de différents centres de calcul universitaires commencèrent à participer à ces conversations. Les premiers nœuds de ce qui devait devenir Usenet furent ainsi établis en 1980. Personne ne se doutait qu'il allait bientôt couvrir le monde entier.

Il s'agissait d'une technologie née en marge du Réseau et qui fonctionna précisément parce qu'elle était marginale. Arpanet et ses successeurs élargissaient petit à petit l'accès à ces nouveaux services de communication et de recherche d'informations, à condition que l'on fît partie des organismes de recherche autorisés par l'Arpa ou la NSF. La Duke University et l'université de Caroline du Nord (UNC) n'étaient pas sur Internet en 1979, mais elles disposaient d'UUCP. Les étudiants Tom Truscott et James Ellis, de Duke, en collaboration avec Steve Bellovin, d'UNC, développèrent la première version des « News Usenet » en 1979 et distribuèrent des tracts l'annonçant à la conférence des utilisateurs d'Unix (ou « Usenix ») de l'hiver 1980. Six mois plus tard, alors que se tenait le Usenix de l'été 1980, le logiciel News était distribué sur bande à tous les participants qui le désiraient. Ce logiciel, qui permettait aux communautés informatiques universitaires de se relier entre elles, avait été versé dans le domaine public ; ses utilisateurs étaient encouragés à le copier et à le distribuer à leur tour.

Usenet, qui était l'abréviation de Unix Users Network, était conçu comme un ensemble de forums de discussion consacrés à Unix. Unix était lui-même conçu pour favoriser l'entraide entre programmeurs professionnels, qui se distribuaient les uns aux autres les petits utilitaires qu'ils développaient pour étendre les possibilités du système. Les inventeurs de Usenet souhaitaient discuter de ces développements sans avoir à dépendre d'un accès à Arpanet. Ils furent surpris de l'accueil enthousiaste que les utilisateurs du monde entier firent à ce nouveau concept de conversations véhiculées d'un campus à un autre. Ils pensaient au départ que Usenet serait utilisé de manière locale ou régionale, mais s'aperçurent que plus le réseau étendait ses mailles, plus les gens étaient avides de mener des conversations de portée internationale. Le Usenet d'aujourd'hui — ces conversations anarchiques, absolument pas censurables, résolument non commerciales, gonflant à un rythme fou et réunissant des millions d'utilisateurs dans des dizaines de pays — est bien le produit de cette conception d'origine.

L'unité de base de Usenet est la contribution. Tout individu disposant d'un accès au réseau peut envoyer un message électronique individuel et signé au reste de la communauté. L'adresse à laquelle il envoie ce message n'est pas celle d'un individu ou même d'une liste de diffusion, mais le thème de la discussion, qu'on appelle newsgroup. Si je veux participer à la discussion portant sur les risques entraînés par l'utilisation des ordinateurs, je rédige un message, je l'adresse au groupe « comp.risks » et je me sers du logiciel « postnews » livré avec l'accès à Usenet pour le mettre en file d'attente. Lorsque mon ordinateur hôte — le nœud Usenet auquel je me connecte — opère une de ses connexions périodiques par UUCP à un autre ordinateur Unix, ce message est expédié. Lorsque l'ordinateur suivant sur le réseau reçoit ce message, il vérifie s'il « est abonné » lui-même au newsgroup auquel ce message est adressé. Si c'est le cas, il range une copie de ce message à l'endroit approprié sur ses disques, puis dans tous les cas, fait passer le message au site suivant. Chaque message comporte un numéro d'identification distinct, de façon à ce qu'un site sache s'il a déjà reçu le message.

Sur chaque site destinataire de ce message, qui peut être proche de mon ordinateur hôte ou situé à l'autre bout de la planète, une communauté virtuelle reçoit un sac de courrier électronique de News Usenet. Le site est abonné à comp.risks, et mon message y est donc stocké à l'intention de ceux qui lisent régulièrement les messages de ce groupe. Au lieu de placer une copie de ce message dans chacune des boîtes de ces gens-là, comme c'est le cas pour les listes de diffusion, le logiciel News place une seule copie du message dans un fichier lisible par tous. Chaque utilisateur fait appel, pour lire les contributions, à un utilitaire qu'on appelle news reader. Il configure son « lecteur de nouvelles » en lui indiquant les groupes de discussion qui l'intéressent. L'utilitaire parcourt la base de données qui se trouve sur son ordinateur hôte et ne lui présente que les nouvelles contributions des groupes qu'il a sélectionnés.

À l'autre bout du monde, tel lecteur de mon message peut réagir de plusieurs manières : il peut penser que je suis d'une rare nullité, qu'il ne veut donc plus jamais voir un seul de mes messages, et mettre mon nom dans une liste qu'on appelle kill file, ou « filtre à clowns » (bozo filter) ; il peut vouloir donner une réponse à ma question, me féliciter de la teneur de mon message, et m'envoyer pour cela un message privé ; il peut aussi souhaiter contredire mes propos, par exemple, et me faire une réponse publique. Usenet achemine automatiquement le message privé ou public ; il suffit à l'utilisateur de taper la commande de menu appropriée. Voilà bien la troisième grande qualité de Usenet : non seulement il est disséminé de manière informelle, non seulement toute personne qui lit Usenet peut y écrire, mais Usenet permet aussi de communiquer directement et de manière privée avec un quelconque de ses contributeurs publics.

On emploie fréquemment le qualificatif d'anarchique pour décrire Usenet, non tant au sens de chaotique ou de désorganisé, mais pour marquer que les transferts incessants de textes qui font Usenet se déroulent sans l'intervention d'une instance centralisée de régulation. Il s'agit bien entendu d'une conséquence du mode de fonctionnement de base de UUCP. Dès le départ, il n'était pas question de centralisation. Pour rejoindre Usenet, il suffisait de se procurer le logiciel gratuit, de localiser un ordinateur hôte accueillant des News et acceptant les contributions, et c'était tout. Les différents groupes de discussion sont organisés de manière arborescente. Les catégories principales (alt, biz, comp, misc, rec, sci, soc et talk) comportent chacune des sous-catégories. Chaque site peut choisir quels groupes ou quels types de groupes il accueille. Si les responsables de votre ordinateur hôte sont choqués par le contenu des groupes alt.sex, alt.drugs ou alt.rock-and-roll, ils peuvent refuser de les abriter ; mais d'autres sites accueilleront les groupes qui sont tabous sur le vôtre, ce qui signifie que pour qui veut vraiment y participer, il existe toujours une seconde source.

Les frais d'exploitation d'Usenet sont eux aussi répartis, en conséquence de son architecture décentralisée. Si un site est de grande taille et peut se le permettre (comme AT&T ou Apple), son administrateur peut décider de prendre à sa charge une partie des coûts de communication de sites plus modestes auxquels il sert de source (pendant des années, c'est le système Unix d'Apple qui appelait automatiquement le Well pour lui transférer les groupes Usenet et les messages Internet, le Well faisant de même pour les sites encore plus petits qu'il servait). Autrement, il en coûtait les frais téléphoniques correspondant au temps passé, tous les quarts d'heure ou tous les quinze jours, à rapatrier ces données.

La croissance de Usenet, lente au début, s'avéra vite exponentielle. En 1979, il y avait trois sites, qui se passaient à peu près deux contributions par jour ; en 1980, il y avait quinze sites et dix messages par jour ; en 1981, il y avait cent cinquante sites et vingt articles par jour. En 1987, il y avait cinq mille sites et les contributions quotidiennes représentaient deux millions et demi de caractères. En 1988, onze mille sites véhiculaient quatre millions d'octets quotidiennement. En 1992, enfin, Usenet touchait plus de deux millions et demi de personnes et les News quotidiennes se montaient à trente-cinq millions de caractères, soit trente à quarante fois le volume de ce livre.

À ses débuts, Usenet bénéficiait de l'attention soutenue d'un petit groupe d'individus dont certains étaient administrateurs informatiques d'entreprises de télécommunication. Tom Truscott, créateur des News Usenet, travaillait aux Bell Labs pendant l'été, et il réussit à convaincre son entreprise de payer les appels réguliers de sa fac destinés à collecter les News et à les relayer vers d'autres sites. La direction d'AT&T ferma les yeux sur la part croissante mais négligeable que les amateurs de Usenet ajoutaient à la facture quotidienne déjà lourde de l'entreprise en frais de communication. La dépense était tout à fait légitime, si l'on considère qu'il s'agissait là d'un nouveau mode de communication et que les statuts des Laboratoires Bell prévoyaient justement les recherches en communication comme objectif premier. DEC, qui avait construit le PDP-1 des débuts de l'informatique interactive, prit également en charge une partie de la facture de Usenet. Un certain nombre de ses dirigeants avaient l'esprit suffisamment large pour penser qu'il était de l'intérêt de DEC d'entretenir de bonnes relations avec la communauté des utilisateurs d'Unix.

Au départ, il existait une sorte de conseil de surveillance informel, baptisé backbone cabal,68 composé des administrateurs informatiques des sites qui véhiculaient le gros du trafic de Usenet. Erik Fair, qui assurait au Well la liaison avec le Réseau et qui est maintenant administrateur du site Internet d'Apple, passait régulièrement à ses camarades du Well les dernières informations émanant de la cabale, mais il n'y avait rien de vraiment secret à tout cela, en dépit du qualificatif ironique. On en parlait régulièrement dans les groupes de discussion adéquats. Les premières révisions importantes du logiciel de Usenet devinrent nécessaires pour faire face à la croissance énorme en nombre de sites et en nombre de messages transférés. Les conférences Usenix et les dialogues quasi permanents en forum permirent à la cabale de poursuivre son travail d'amélioration du logiciel. Mais la notion même d'épine dorsale disparut lorsque Usenet commença à s'appuyer sur Internet et sur les liaisons UUCP pour faire transiter ses « sacs » de messages électroniques. La cabale n'est plus aujourd'hui qu'un élément historique. Usenet reste régulé par des normes de comportement implicites, et non par des individus ou des organisations. Si l'on viole l'une de ces normes — si, par exemple, on diffuse sans scrupule des textes publicitaires en dehors des groupes où ils sont tolérés —, on s'expose à des volées de messages courroucés et peut-être à ne plus recevoir certaines informations, mais il n'y a pas lieu de craindre qu'une quelconque police Usenet vienne frapper à la porte.

[NdT 68] Littéralement « La cabale de l'épine dorsale » (épine dorsale est utilisé en anglais pour qualifier la ou les artères principales d'un réseau).

Mark Horton intégra les listes de diffusion d'Arpanet à Usenet vers 1981. Les deux listes de diffusion les plus populaires, SF-Lovers et Human-Nets, avaient commencé à circuler entre les sites reliés par UUCP et par Arpanet. Alors que de plus en plus de sites Internet récupéraient les News Usenet, ce support de discussion sans pouvoir central était de plus en plus apprécié. Usenet faisait d'Internet une sorte de métacommunauté virtuelle, et réciproquement, Internet amenait Usenet sur de plus en plus de sites à des débits de plus en plus grands. Les dirigeants d'Arpanet commencèrent par fermer les yeux sur ces interconnexions — qui étaient jusque-là encadrées —, puis finirent par légitimer Usenet.

À terme, un protocole de réseau à haut débit fut créé pour Internet. Ce qui voulait dire qu'un nombre très important de groupes de discussion pouvaient être gérés sur un nombre inférieur de sites tout en étant disponible quasi instantanément à qui en faisait la demande grâce aux hauts débits d'Internet. En 1992, 60 % du trafic de Usenet passaient par ces artères à haut débit, tandis que 40 % continuaient à transiter d'ordinateur à ordinateur par appel téléphonique selon l'ancien mode.

Les groupes se composent de commentaires et de réponses et permettent de conduire toutes sortes de discussions. Ces conversations sont toutefois moins suivies que celles des forums électroniques qui résident sur un seul serveur, comme ceux du Well, et où chaque réponse fait suite à la réponse précédente. Lorsqu'on place une contribution sur le Well, les autres utilisateurs peuvent immédiatement la lire. Avec Usenet, comme il faut un certain temps pour que chaque contribution soit disséminée sur tous les sites accueillant le forum en question, cette stricte continuité temporelle n'est pas possible. Cela dit, de petits utilitaires permettent, dans un message, de « citer » tout ou partie du message auquel on répond, et les utilitaires de lecture des nouvelles aident à regrouper les réponses éparses relevant d'un même « fil » de contributions dans un groupe. À l'époque où je commençai à me servir de Usenet, au milieu des années 80, il fallait jusqu'à une semaine pour qu'une question ou une opinion suscite des réponses du monde entier ; il faut aujourd'hui entre quelques minutes et quelques heures. Au fur et à mesure que le débit de transmission du Réseau s'accélère, on passe du mode correspondance au mode conversation.

Le plus souvent, chaque groupe de discussion a son noyau de fidèles, qui peut être important lorsqu'on sait que les participants potentiels au groupe se chiffrent en millions. Des sous-communautés de genres très divers sont nées au sein de tel ou tel newsgroup. D'autres groupes ressemblent plus à des champs de bataille qu'à des communautés, même si eux aussi ont leurs normes et leurs fidèles.

On se fait une idée assez bonne des thèmes de discussions et du nombre de ceux qui discutent en faisant défiler la liste des groupes de discussions qui sont disponibles sur le site Internet le plus proche. Les groupes sont divisés en différentes catégories. Ceux dont le nom commence par le préfixe alt, pour alternative, sont les plus variés et les moins régulés. Tout utilisateur de Usenet sachant se servir des utilitaires de programmation peut créer son propre newsgroup ; les étudiants du monde entier semblent prendre un malin plaisir à diffuser des groupes aux noms en forme de blague de potache (exemple : alt.multi-level-marketing.scam.scam.scam69). Peu de sites choisissent d'accueillir les groupes aux noms frivoles, encore que la définition de frivole varie d'un site à l'autre. Les catégories biz, comp, misc, rec, soc, sci, et talk (business, informatique [computers], divers [miscellaneous], loisirs [recreation], sociétés et cultures, science, et général) bénéficient de règles très souples de création de nouveaux groupes. Quelqu'un appelle à la discussion, on discute, et on vote. Si les « pour » l'emportent de cent voix au moins sur les « contre », le groupe est créé.

[NdT 69] alt.marketing-multiniveau.arnaque.arnaque.arnaque.

Lorsqu'on parle de hiérarchie70 à propos de Usenet, il ne s'agit pas d'une chaîne de pouvoir ou de commande, mais d'une manière d'organiser un nombre très élevé de modules unitaires en catégories et sous-catégories. Voici, par exemple, de quoi se compose la hiérarchie rec.autos :

[NdT 70] On parle également en français d'« arborescence ».

Présentation de la hiérarchie du groupe Rec.Autos:

rec.autos.tech
sert aux discussions d'ordre technique sur les automobiles, la manière dont elles sont construites, les diagnostics de pannes, et le service après vente. Tout autre type de contribution est découragé, notamment les petites annonces.

rec.autos.sport
sert aux discussions sur les compétitions officielles auxquelles participent des automobiles. Les discussions techniques sont appropriées si elles portent sur des véhicules de compétition. Les deux types de points de vue -- spectateur ou participant -- sont les bienvenus. Les débats plus ou moins orageux sur les mérites comparés de telle ou telle voiture de sport sont généralement découragés, comme tout autre type de débat. Il en est de même des petites annonces, sauf si elles concernent des véhicules et/ou des accessoires de compétition. Les discussions sur les compétitions sauvages sont limites ; mais il est déconseillé d'encourager à enfreindre la loi (n'oubliez pas que le FBI lit Usenet !).

rec.autos.driving
sert aux discussions sur la conduite automobile, y compris les débats sur le passage de la limitation de vitesse de 55 à 65 miles, les détecteurs de radar, etc.

rec.autos.vw
sert aux discussions sur tous les modèles fabriqués par Volkswagen (y compris Audi, Seat, etc.) Il a été créé parce que la liste de diffusion info-vw était très utilisée. Il ne faut pas pour autant supposer que l'on peut créer un groupe consacré à n'importe quelle marque ; un groupe spécialisé ne doit être créé que si un intérêt suffisant s'est manifesté pour cette marque, par le biais d'une liste de diffusion, par exemple.

rec.audio.car
ne fait pas partie de la hiérarchie rec.autos.*, mais c'est l'endroit où discuter de l'équipement audio des automobiles, et c'est pourquoi il est mentionné ici.

alt.autos.antique
ne fait pas partie de la hiérarchie rec.autos.*, mais peut présenter un intérêt pour les lecteurs de rec.autos ; il sert aux discussions sur les voitures anciennes (agées en général de plus de 25 ans, meme si ce n'est pas une règle absolue).

alt.hotrod
ne fait pas partie de la hiérarchie rec.autos.*, mais il peut également présenter un intérêt pour les lecteurs de rec.autos ; il est lié à la liste de diffusion Hotrod et sert aux discussions sérieuses sur le développement et la modification de véhicules à hautes performances.

rec.autos
sert à tous les autres types de discussions sur les automobiles.


Le Well accueille environ deux cents groupes de discussion, mais ce sont des milliers de newsgroups qui voyagent autour du monde. Certains sont localisés, propres à une entreprise, une ville, une région, un pays. D'autres sont planétaires. La plupart sont en anglais, mais des groupes tenus dans d'autres langues commencent à apparaître. La liste des groupes d'un site Usenet de la région de San Francisco, Netcom, compte soixante-quatre pages en simple interligne. En voici de petits extraits, avec une courte description pour chacun.

alt.3d • Discussions sur les images 3D.
alt.activism • Le forum des militants activistes.
alt.alien.visitors • Une créature de l'espace a mangé mon modem.
alt.angst • Angoisse et monde moderne.
alt.aquaria • Pour les aquariophiles.
alt.archery • Le groupe des amateurs de tir à l'arc.
biz.jobs.offered • Offres d'emploi.
comp.ai.vision • Recherches sur la vision en intelligence artificielle (animé).71
comp.apps.spreadsheets • Les tableurs sur différentes machines.
misc.consumers • Intérêts du consommateur, critiques de produits.
misc.emerg-services • Forum des professions paramédicales et premiers secours.
misc.entrepreneurs • Discussions sur la conduite d'une entreprise.
misc.fitness • Culture physique, etc.
misc.forsale • Petites annonces de vente courtes et bien tournées.
misc.handicap • Forum sur et pour les handicapés.
misc.jobs.resumes • CV et demandes d'emploi.
misc.kids • Les enfants, leurs attitudes, leurs activités.
rec.antiques • Tout sur la brocante et les antiquités.
rec.arts.animation • Discussions sur l'animation d'images.
rec.arts.bodyart • Amateurs de tatouages et autres décorations corporelles.
rec.arts.books • Livres en tout genre et monde de l'édition
rec.arts.erotica • Prose et poésie érotiques (animé).
sci.astro • Discussions et information sur l'astronomie.
sci.bio.technology • Tous sujets liés à la biotechnologie.
sci.engr.chem • Discussions sur l'ingénierie chimique.
talk.abortion • Discussions et polémiques sur l'avortement.
talk.bizarre • L'étrange, le bizarre, l'ésotérique.
talk.environment • Discussion sur l'état de l'environnement.
talk.origins • Evolution et créationnisme (parfois enflammé !).
talk.politics.animals • Utilisation et/ou exploitation des animaux.
talk.politics.guns • Sur la vente et l'utilisation des armes.
talk.rape • Discussions sur les moyens d'empêcher les viols ; à ne pas indexer.72
[NdT 71] On dit d'un forum qu'il est « animé » ou « modéré » (moderated) lorsqu'un animateur (ou « modérateur ») est chargé de s'en occuper, de lancer des sujets de discussion, de modérer les ardeurs des participants qui s'énervent, etc.
[NdT 72] Un forum est dit indexé (crossposted) lorsqu'on met son nom (en y donnant donc l'accès) au menu d'une hiérarchie qui n'est pas la sienne. Dans l'exemple de rec.autos présenté plus haut, c'était, par exemple, le cas de alt.autos.antique.

Les groupes de la hiérarchie soc.culture marquent bien la dimension planétaire de Usenet. Des groupes existent qui portent sur les populations, la culture, et la politique d'Allemagne, de Bulgarie, du Canada, des Caraïbes, de Chine, d'Europe, de France, de Grande-Bretagne, etc. la liste est longue de dizaines d'autres pays, jusqu'au Viêt-nam. Soc.culture.yugoslavia a subi le même sort que la Yougoslavie. Avant même que le conflit armé fasse la une des journaux, les factions serbes et croates du groupe de discussion avaient commencé à se battre à coups de mots.

Les contributions qu'on trouve sur Usenet peuvent faire trois lignes aussi bien que trois mille. Voici un exemple, cité par une source autorisée, de l'influence politique de Usenet :


De: avg@rodan.UU.NET (Vadim Antonov)
Groupe: alt.culture.usenet
Objet: Re: Quand Usenet influence les affaires du monde
Date: 2 Jul 1992 22:24:35 - 0400
Organisme: Berkeley Software Design

Dans l'article <1305hlINNqac@network.ucsd.edu> mark@cs.ucsd.edu (Mark Anderson) écrit :

>USENET n'est pas aussi isolé du monde que beaucoup
>semblent le penser.

C'est évident. Pendant le coup d'état de Moscou, les informations communiquées sur Usenet ont été utilisées par la radio Voice of America et par CNN ainsi (indirectement) que par d'autres organes d'information occidentaux. En URSS, Usenet est devenu l'une des principales sources d'information, le téléphone et le télex étant par trop encombrés. On peut meme envoyer un message électronique au Conseil Supreme de Russie. Les bureaux russes d'UPI, de Frans Presse, d'Associated Press et d'une dizaine d'autres agences obtiennent leurs dépeches d'Interfax, de l'Agence des nouvelles économiques (Russie) et de l'Agence d'information russe (RIA) par l'intermédiaire de Usenet : ca fonctionne mieux que la télécopie. Enfin les experts du gouvernement actuel de Russie utilisent largement Usenet pour discuter les nouvelles propositions de loi avec leurs homologues régionaux. Usenet convient parfaitement aux scientifiques ; il n'y a pas de raison qu'il ne puisse etre utilisé avec autant de profit par les politiques, les médias et les milieux financiers.

Vadim Antonov
Berkeley Software Design, Inc.


Voici maintenant une demande d'information, comme on pourrait en trouver sur le forum « Les experts du Well ». De nombreux utilisateurs se servent de Usenet comme d'une base de données vivante :


Groupes: rec.crafts.textiles, alt.sewing
Accès: well!uunet!gatech!utkcs2!athena.cas.vanderbilt.edu!vusl
De: vusl@athena.cas.vanderbilt.edu (VU Science Library)
Objet: Aspects sociologiques de l'histoire de la couture
Organisation: Mathematics, Vanderbilt University, Nashville

Je suis intéressée par l'histoire du costume. J'ai consulté plusieurs ouvrages sur les vetements à travers l'histoire. j'ai remarqué que certains motifs de tissus d'aujourd'hui reprennent ceux d'époques antérieures.

Mais ce qui m'intéresse plus particulièrement, c'est l'aspect sociologique de l'histoire de la couture, entre les années 1066 (bataille d'Hastings) et 1500. Qui fabriquait les costumes des dames de l'époque ? Quel type d'aiguilles utilisait-on ? Quand le bouton a-t-il été inventé (pendant les croisades ?) ? Si vous connaissez des livres ou d'autres références sur ces sujets, je serais ravie de les connaitre et je ne manquerai pas d'en faire des résumés ici (si d'autres personnes sont intéressées !).

Merci

Carlin
sappenc@ctrvax.vanderbilt.edu


Et dans le genre marché aux puces :


Groupes: uiowa.forsale, misc.forsale, rec.pets, rec.pets.herp
De: bbreffle@icaen.uiowa.edu (Barry Ronald Breffle)
Objet: Pythons birmans A VENDRE
Organisation: Iowa Computer Aided Engineering Network, University of Iowa

A vendre

Je possède plusieurs bébés pythons birmans à vendre. Ce sont des serpents domestiques issus d'une longue lignée de serpents domestiques. Le python birman est très beau et très sain. Ils mangent tous très bien. Ils sont nés en mai 92.

Birman à motif normal $100
Birman vert (sans motif) $350

Si vous etes intéressé(e), écrivez-moi :
bbreffle@icaen.uiowa.edu
Barry Breffle
(frais de port non inclus dans ces prix)


La croissance continue de Usenet correspond à l'arrivée permanente de nouveaux participants dans les groupes. La valeur des informations échangées au sein de toute communauté virtuelle dépend de la qualité des conversations et de la compétence des intervenants. Les habitués des groupes de discussion qui proposent des informations sérieuses, fatigués d'avoir à répondre sans arrêt aux mêmes questions posées par les nouveaux arrivants, ont à un moment donné commencé à compiler et à publier des Faq,73 c'est-à-dire des listes de questions fréquemment posées. Le compilateur de Faq bénévole en met de nouvelles versions en forum toutes les deux semaines ou tous les deux mois selon le rythme des discussions du groupe. Il y a même un groupe entièrement consacré à des Faq portant sur les sujets les plus divers.

[NdT 73] Frequently Asked Questions.

La compilation, la mise à jour, la publication renouvelée des Faq servent à empêcher les discussions de tourner en rond sur les mêmes sujets élémentaires, mais les Faq deviennent vite des ressources uniques en leur genre, des sortes de dictionnaires des dix ou des quarante choses à savoir absolument sur Unix, sur les chiens de race, sur la culture afghane, sur les récepteurs d'ondes courtes ou sur l'achat d'une bicyclette.

Les Faq sont en général compilées par ceux et celles qui aiment organiser, ordonner. Les contributions passées des groupes de discussion sont souvent archivées, ce qui veut dire qu'avec un accès ftp au Réseau, tout un chacun peut les explorer et en extraire les questions les plus fréquentes et les meilleurs réponses qui leur ont été apportées par le groupe. Ainsi, la compilation de Faq permet de ne pas charger les conversations de sujets trop élémentaires, fournit la structure d'une base de données collective thématique, et sert de corpus de présentation à ceux qui sont intéressés par le groupe.

Les Faq sont en quelque sorte une forme distillée de Usenet. Quelques octets essentiels parmi les millions qui sont émis chaque jour sont sélectionnés pour être archivés. Partout sur Internet, des sites consacrent des espaces de stockage importants à la conservation de ce type de ressources. Voici deux exemples de listes de Faq , choisis parmi des centaines d'autres :


FAQ SUR L'AVIATION DE PLAISANCE

Q1:  Comment est structuré rec.aviation ?
Q2:  Je voudrais apprendre à piloter. Comment m'y prendre, combien ca coute, et combien de temps faut-il ?
Q3:  Je souhaite acheter un casque audio. Lequel faut-il choisir ?
Q4:  Et les systèmes de communication portables ?
Q5:  Que vaut la VPC dans ce secteur ?
Q6:  Je suis pilote privé. Comment faut-il consigner les heures d'utilisation des instruments ?
Q7:  Parlez-moi des bulletins météo en temps réel DUATS.
Q8:  Parlez-moi de Bitnet et de la liste aviation-digest.
Q9:  Comment puis-je lancer un nouveau fil de contributions ?
Q10: J'ai une licence de pilote non américaine. Puis-je piloter aux Etats-Unis ?
Q11: Et les ULM ?
Q12: Ou puis-je trouver des logiciels de réalisation de plans de vol du domaine public et autres choses sympathiques sur le réseau ?
Q13: j'envisage d'acheter un avion. Combien cela va-t-il me couter ?
Q14: Puis-je me servir de mon téléphone mobile dans un avion ?
Q15: Puis-je utiliser un émetteur radio ou un récepteur dans un avion ?
Q16: J'ai un handicap physique et je voudrais apprendre à piloter. Est-ce possible ?
Q17: Quelles sont les différentes manières de passer l'examen écrit de la FAA ?
Q18: Est-ce que les volets sont interdits sur certains Cessna ?

 

FAQ SUR LES CHIENS

présentation
acquérir-un-chien
nouveau-chiot
nouveau-chien
santé
infos-médicales
dressage
comportement
travail
service
ressources


Voici maintenant une Faq sur les chats qui illustre bien le niveau de détail auquel on est arrivé pour certaines d'entre elles. Elles constituent littéralement des ouvrages collectifs :


10. "Herbe à chats"

Les chats peuvent profiter de certains éléments végétaux dans leur régime. Lorsqu'ils dévorent une proie, ses intestins et ce qu'ils contiennent sont également absorbés. De nombreux possesseurs de chats font pousser cette herbe pour eux, à la fois pour leur assurer un régime équilibré et les tenir à l'écart des plantes auxquelles ils tiennent !

Voici les graines qui peuvent etre utilisées (n'utilisez pas de graines traitées, reconnaissables à leur couleur artificielle rouge, bleue ou verdatre) : l'avoine (pas cher, simple, abondant), le blé, le millet japonais, les herbes 'Poa', Fétuque, le seigle (mais attention à l'ergot, qui est un champignon parasite dont on tire le LSD), les herbes 'Lolium' (pas chères, faciles à faire pousser, mais peu abondantes), les pousses de luzerne et de haricots en PETITE quantité (elles comportent des composés antiprotéiniques qui réduisent la valeur en protéines des autres aliments donnés à l'animal (ou à l'homme !)).

Les graines qui sont A PROHIBER : le sorgho, par exemple, contient des glycosides cyanogènes et peut causer un empoisonnement au cyanure. Il s'agit de graines que l'on trouve en général dans les graines pour oiseaux.


Sur Usenet, on peut converser ou publier des articles ; c'est aussi une version électronique planétaire du Speaker's Corner de Hyde Park, à Londres,74 un « courrier des lecteurs » non retouché, un marché aux puces mouvant, un « journal dont vous êtes le héros », et la réunion de tous les types de hobbyistes qui puissent exister. C'est un média grand public, car toute information placée sur le réseau peut toucher potentiellement des millions de personnes. Mais il diffère des grands médias classiques sous plusieurs aspects. Chaque individu capable de lire une contribution de Usenet peut y répondre ou créer sa propre contribution. À la télévision, dans les journaux et les magazines, au cinéma, à la radio, un tout petit groupe détient le pouvoir de décision sur ce qui passe et ce qui ne passe pas. Sur Usenet, chaque spectateur peut se muer en acteur. Pendant les incidents de la place Tien An Mein en 1989, des étudiants à Taiwan qui avaient un accès à Usenet et des liaisons téléphoniques avec des parents en Chine se constituèrent en réseau de correspondants sur les événements.

[NdT 74] Lieu de Hyde Park où tout un chacun peut monter sur une caisse et haranguer la foule.

Certains groupes de discussions contiennent des sons et des images encodés. Il est tout à fait possible, en effet, de convertir une photo numérisée ou un son numérique en une série de caractères alphabétiques, qui peuvent être envoyés dans une contribution sur le Réseau ; ceux qui disposent de l'utilitaire adéquat peuvent ensuite recueillir ces messages d'un genre spécial et les décoder pour obtenir le son ou l'image en question sur leur ordinateur. Rien ne donne autant l'impression d'être un alchimiste que de se connecter au Réseau, d'effectuer les incantations appropriées, et de regarder la toute dernière image météo satellite s'afficher en couleurs à l'écran. De nouvelles normes d'échange d'informations multimédias, de nouvelles méthodes de compression de ces données audiovisuelles volumineuses, et de nouveaux utilitaires destinés à simplifier leur communication par Internet permettront d'amplifier cet aspect multimédia d'Usenet dans les années qui viennent. Pensez à l'impact qu'a pu avoir un vidéaste amateur après avoir filmé le tabassage de Rodney King par la police de Los Angeles. Pensez à ce que cela pourra donner lorsque n'importe qui pourra, de n'importe où, utiliser son caméscope numérique, puis transmettre son témoignage vidéo au Réseau d'information des citoyens de demain.

Usenet met énormément à contribution la bonne volonté des gens. Ceux qui l'ont créé l'ont fait bénévolement et en ont versé le logiciel dans le domaine public. Les méga-octets de contenu quotidien sont des contributions bénévoles. Ce mariage de la libre expression, de l'absence de pouvoir central, des discussions à plusieurs et d'effort bénévole a créé un nouveau type de contrat social. La phénoménale croissance de Usenet est due pour une bonne part au fait qu'elle a eu lieu loin du regard du public. Usenet commence aujourd'hui à faire la une des journaux et des magazines, ce qui donne lieu parfois à certains excès. L'existence de groupes de discussion contenant des textes, des images ou des sons à caractère érotique ou pornographique n'est pas aisée à justifier vis-à-vis du contribuable conservateur, et la révélation de cette existence est rarement équilibrée par un compte-rendu de toutes les informations de valeur plus tangible que l'on trouve sur le Réseau. Les libertaires de Usenet répliquent que les « normes communautaires » font partie intégrante du logiciel lui-même. Si votre ordinateur hôte ne veut pas accueillir tel ou tel groupe, ou empêcher tel individu de participer, il peut le faire. Il lui sera bien plus difficile de forcer d'autres sites dans le monde à en faire autant.

Usenet est sans conteste le lieu de conversations le plus important au monde. Mais ce n'est pas le seul réseau pour tous du globe. D'autres conversations, par dizaines ou centaines de milliers, se déroulent au sein des variantes les plus locales des communautés virtuelles : les BBS.

 



Sommaire La Réalité virtuelle Fin du Chapitre 3 Suite du Chapitre 4 Sommaire Mac Informatique