Cliquez pour m'envoyer un message

Février 1992 APPLE : LA TENTATION
DU GRAND PUBLIC
Cliquez pour retrouver, en bas de cette page, des boutons de navigation

Apple se prépare à une entrée dans l'électronique grand public, à l'occidentale plutôt qu'à la japonaise, et sans trahir sa nature, bien au contraire.

Il y a seulement deux mois, je me faisais ici l'écho d'informations selon lesquelles Apple prévoyait de sortir en 1992 une dizaine de machines nouvelles. Par rapport à l'avant 1990, on ne pouvait s'empêcher de trouver cette accélération surprenante. Mais l'on n'avait pas encore tout entrevu. Le mois dernier, John Sculley a choisi le Winter Consumer Electronics Show (Salon d'hiver de l'électronique grand public) de Las Vegas pour frapper encore un peu plus les imaginations en levant en partie le voile sur les projets d'Apple à court et moyen terme (1992 et 1993).

Non, ce ne sont pas seulement dix nouvelles machines que nous découvrirons en 1992, et ce ne seront pas uniquement des Macintosh «classiques». En plus de l'amélioration d'une large partie des modèles actuels (Classic II couleur, LC 68030, Quadra accélérés, IIci et IIfx «quadrifiés», PowerBook plus petit, PowerBook en couleurs), on devrait assister à la sortie, «à temps pour Noël» (dixit Sculley), de modèles «multimédia» (lecteurs de CD-ROM, voire processeurs de signaux numérique ajoutés à certains des modèles), et de machines «grand public», déclinaisons simplifiées de ces nouveaux modèles multimédias (probablement pas de NuBus, d'AppleTalk, ou de sortie SCSI).

A l'horizon 1993, la mutation serait encore plus radicale, puisqu'on devrait commencer à voir apparaître des «valets électroniques de poche» (Personal Digital Assistants) de plusieurs sortes : agendas/organiseurs, modules de communication, livres électroniques, lecteurs de CD-ROM.

Stratégie à la japonaise ?

Cette évolution étonnante parce que tellement «à-propos» (quand on voit tant d'autres entreprises, dans tous les domaines, adopter des stratégies frileuses de repli) appelle un certain nombre de commentaires. D'abord il est sans doute l'heure pour les observateurs de la planète Apple (dont votre serviteur), après s'être gaussé de «l'homme de Pepsi-Cola», de lui reconnaître des qualités certaines de capitaine d'industrie, ayant non seulement formulé un projet audacieux, mais s'étant également donné les moyens de le réaliser.

Ensuite, le phénomène de réduction du temps de gestation (Time To Market, ou TTM) des produits n'est pas propre à Apple, mais quasi-général. C'est le cas notamment dans les produits «bruns» (hi-fi, audio, vidéo) et dans l'automobile. Il s'agit, dans un marché que l'on a déjà investi, de susciter des cycles de renouvellement d'achat plus courts et de proposer des prix plus bas (les coûts de développement étant réduits) pour élargir la clientèle sur ce marché. On a d'ailleurs parlé, depuis 1990, de «stratégie à la japonaise» en ce qui concerne Apple, pour qualifier cette évolution : sortie de produits haut de gamme pour promouvoir l'image, renouvellement annuel des produits, abaissement progressif des prix, inondation des marchés, renouvellement des ventes.

Produits banalisés et produits malléables

Quand je rappelle à François Benveniste, directeur du marketing d'Apple France, l'avoir entendu récemment affirmer que la vocation d'Apple n'était justement pas de faire des commodity products (produits de grande consommation), il commence par compléter ma définition : «J'appelle commodity products des produits à grande diffusion, oui, mais enfermés dans des définitions convenues». Exemple : la TV couleur ; hors changement de standard (à quand la haute définition ?), il n'y a pas d'évolution à attendre d'un tel produit, à part une baisse continue des prix. On rentre alors dans un cycle infernal de rétrécissement des marges, qui amenuise les capacités de recherche et développement (R&D) des sociétés, et les enferme dans la catégorie de produits donnée, avec une qualité d'innovation très faible. Or le pari d'Apple, son concept pivot, poursuit François Benveniste, c'est la R&D, l'innovation, la capacité de toujours surprendre, pour le bénéfice tant de l'entreprise que de ses clients.

Et il est vrai que cette fameuse stratégie à la japonaise aboutit à des effets peu désirables : alors que le moindre catalogue de vente par correspondance propose, par exemple, un baladeur à 199 F, les fonctionnalités de ces appareils n'ont connu aucune avancée depuis 10 ans — c'est même le contraire puisqu'on ne trouve pratiquement plus d'enregistreurs stéréo —, et leur qualité de reproduction du son a plutôt baissé — mais peut-être n'est-ce pas gênant pour l'écoute dans le métro ou dans la rue !

A l'inverse, le Macintosh a régulièrement évolué dans ses fonctionnalités, notamment grâce à son soubassement logiciel (HFS, puis MultiFinder, puis Système 7). Mieux : ce logiciel — le contenu du produit — est multiforme (système, applicatif, utilitaire, ludique), et l'utilisateur peut «se l'approprier» et en jouer à sa guise. Il ne s'agit pas d'un produit utilitaire doté d'un bouton pour une fonction, mais de milliers de boutons virtuels, qui en font un outil polyvalent personnalisable.

Pousser l’utilisateur à la perversion

Si Apple se satisfaisait de faire des micro-ordinateurs, il serait néanmoins nécessaire de travailler inlassablement à la diffusion de ce concept d'appropriation. C'est la théorie de la «perversion» de l'ami Benveniste (jamais à court d'une provocation verbale pourvu qu'elle suscite la curiosité et qu'elle détende l'atmosphère) : il faut pousser l'utilisateur à pervertir son utilisation du Mac, à en découvrir de nouveaux usages auxquels même son constructeur ne l'a pas prévu.

Le ci-devant et néanmoins actuel directeur du marketing d'Apple France s'amuse à illustrer sa thèse d'un exemple n'ayant rien à voir avec l'informatique : lorsqu'on achète un four à micro-ondes, c'est dans un but élémentaire et précis, décongeler, chauffer rapidement. Une fois l'achat effectué, on découvre au fond de la boîte un livre de recettes adaptées à l'instrument : il sert donc à autre chose qu'à réchauffer ! Des expérimentations diverses s'ensuivront, qui entretiendront l'intérêt (et l'appétit) pour cet objet.

Le « Knowledge Navigator » en point de mire

Mais il s'avère donc qu'Apple ne se contentera plus de faire des outils de productivité, et qu'il s'apprête à investir un nouveau marché, celui des objets de communication, d'information, de loisir quotidiens. Dira-t-on même qu'il est sur le point de créer ce marché ? On en serait tout prêt, en effet. Car si ce même esprit d'innovation, de réalisation d'objets «malléables» continue de souffler à Cupertino — et tout indique aujourd'hui que ce sera le cas —, on peut parier qu'un «organiseur» de poche Apple n'aura pratiquement rien à voir avec les appareils de ce nom qu'on connaît aujourd'hui. Une interface à la Hypercard ? Un afficheur nettement plus grand ? Un abandon du clavier ? En tout cas, une conception originale, digne de l'identité culturelle de son créateur, et qui en fera un objet tout à la fois plus attachant et plus utile pour son possesseur.

Un seul objet ? Non, plusieurs. Toute une ligne d'extensions électroniques des années 90, avec toujours en point de mire, mais d'un coup plus discernable, un «Knowledge Navigator» à commande vocale qui en sera la synthèse et le point d'orgue. Vous en connaissez beaucoup, des entreprises qui négocient cette dernière décennie du siècle avec autant de brio, pour leur intérêt comme pour le nôtre ?







François Benveniste               (DR)


Sommaire Mac Info. Article précédent Article suivant De Micro à Micro