Cliquez pour m'envoyer un message

Mars 1992 MICROSOFT :
MONOPOLE ET TÊTE DE TURC
Cliquez pour retrouver, en bas de cette page, des boutons de navigation

Quand on tient 75% d'un marché, on s'attire immanquablement des coups, voire des coups bas. Affaiblir Microsoft serait-il une préoccupation d'intérêt général ?

Le mois dernier, François Benveniste, directeur du marketing d'Apple France, défendait dans cette chronique les produits aux définitions non convenues, «pervertissables», bref innovants et ouverts. Bien entendu, il parlait au premier chef des ordinateurs proposés par Apple. Pour éclairer un peu plus son propos, il n'avait pas hésité à citer Microsoft comme contre-exemple. «Ils enferment l'ordinateur dans une série d'applications convenues, disait-il, et travaillent dans le sens de l'indifférenciation des machines. C'est potentiellement dangereux pour toute l'industrie.»

Cette pique n'est pas isolée, et l'on sait qu'Apple US a déjà depuis longtemps attaqué en justice Microsoft en arguant que Windows était une contrefaçon de l'interface homme-machine (H-M) du Macintosh. J'ai déjà dit en d'autres temps combien cette manœuvre me paraissait détestable, venant d'une entreprise qui nous avait dit vouloir changer l'informatique, voire le monde, et qui, son œuvre réussie (l'interface H-M promue par le Macintosh étant en passe de devenir un standard), adoptait une attitude de requin du business. Quand de surcroît on constate que l'interface H-M du nouvel OS/2 2.0 d'IBM est tout autant, voire plus inspirée de celle du Macintosh que Windows mais qu'IBM, bien entendu, n'est pas sur la liste des entreprises poursuivies en justice par Apple, on ne peut s'empêcher de penser «Plus cynique, tu meurs !»

D'autres critiques émanent directement d'un certain nombre d'utilisateurs de Macintosh, qui dénoncent avec vigueur la protection dont se voit encore affublée Word 4 en France (Excel 3 et Word 5 ne sont heureusement plus protégés), l'aspect estimé «usine à gaz» des logiciels de la marque, ou encore les problèmes de compatibilité des programmes de Microsoft lorsqu'Apple sort une nouvelle version du système.

Et ces choses-là peuvent être dites en termes très crus, comme on le relève, par exemple, sur CalvaCom : «Il faut rappeler que les conneries de Crimosoft contraignent les utilisateurs lambda à une MàJ lors de chaque modification système…» ; ou bien : «…d'autres softs offrent de surcroît l'immense plaisir moral de ne pas engraisser Crimosoft, entreprise qui considère ses clients comme des bandits avant de les seulement connaître.» Le moins qu'on puisse dire est que Microsoft suscite de la passion, fut-elle vindicative.

Ce qui est étonnant, c'est que les programmes de la firme au papillon sont loin d'être les seuls à appeler ces critiques. Pour les autres, en général, on met en regard de ces inconvénients les qualités qu'ils possèdent, et si ces dernières sont conséquentes, on en tire un jugement globalement positif sur le logiciel. C'est nettement moins le cas pour ceux de Microsoft, dont on peut dire, pour reprendre une expression américaine, qu'on adore souvent les haïr.

La critique de François Benveniste appelle également un commentaire, car enfin, un des buts d'Apple n'était-il pas précisément, depuis le lancement du Macintosh, de normaliser tout un pan de l'interface H-M, quels que soient les programmes utilisés ? Et l'accord avec IBM n'a-t-il pas pour objectif, entre autres choses, de créer un environnement logiciel commun aux deux grandes plates-formes ? D'ailleurs, la tendance est généralisée depuis un certain temps, et tous les grands éditeurs ont adopté une stratégie bistandard, que les produits existent déjà dans les deux environnements (PageMaker, FreeHand, Illustrator, pour n'en citer que trois) ou qu'ils soient attendus, notamment dans le cas de Claris, précisément le bras logiciel d'Apple.

Il y a donc bien autre chose qui justifie les coups des uns et des autres portés à Microsoft. Au niveau des états-majors, les vraies raisons sont assez claires. Microsoft a atteint une taille suffisamment importante pour qu'on s'en inquiète sérieusement. Il semble qu'un nombre croissant de grands éditeurs de logiciels, même traditionnellement spécialisés sur Macintosh, en viennent à considérer Windows 3 comme environnement pour lequel développer tout d'abord, les versions pour Macintosh venant en seconde priorité.

Tout cela, dans une optique «lutte sans merci pour parts de marchés», explique sans doute ces coups portés au plus haut niveau. Chez les utilisateurs, la préoccupation est finalement d'ordre pragmatique, mais non moins stratégique, comme le résume bien un autre contributeur de CalvaCom : «N'achetez pas Word. Si vous le faites sans réfléchir, […] un jour, vous n'aurez plus que le choix entre Word et Word. Perspective effrayante, non ?».

En filigrane, deux questions clefs : la standardisation est-elle souhaitable jusqu'à un certain point, et dangereuse au-delà de ce seuil ; et Microsoft risque-t-il bientôt d'être en position de monopole en France ? Au niveau des grands acteurs de l'industrie, on a déjà vu que la réponse à la première question était assez claire : la standardisation est bonne quand c'est moi qui la fait, mauvaise quand c'est mon concurrent le plus dangereux.

Au niveau des utilisateurs, quasiment toute normalisation est bonne à prendre tant les standards foisonnent et les casse-tête de compatibilité entre données fleurissent. Quant à la question du monopole, posons d'abord qu'il serait vain de prétendre que les clients de Microsoft n'achètent ses produits que parce qu'ils sont victimes de quelque lavage de cerveau plus efficace que ceux des petits camarades. Comme l'indique Henri-Joseph Rohrlich, responsable des achats chez International Computer, où l'on est plutôt pro-Claris — parce que pro-Apple —, et qui a lui-même promu un temps WriteNow (sans succès), nul chez IC (et ailleurs) ne nie que ces produits soient bons.

Disons ensuite qu'on peut «faire confiance» aux chefs d'états-majors cités plus haut pour contrebalancer quelque peu toute perspective hégémonique de la part de l'un d'entre eux. Estimons enfin que toute position dominante n'a qu'un temps, celui que dure une forme de micro-informatique donnée, et que toute innovation radicale dans ce domaine (nouveau type d'interface H-M, nouveau mode d'utilisation) aura nécessairement un retentissement auprès des utilisateurs et bousculera les positions acquises.

Pour être juste, n'oublions pas non plus que si Macintosh a tenu son pari, Microsoft n'y est pas pour rien, qui l'a joué gagnant dès 1983, en proposant le premier tableur (Multiplan), le premier langage de programmation (MS Basic), et le premier traitement de texte non-Apple pour cette machine (Word 1).

Au total, je serai d'avis de prendre avec intérêt et curiosité tout ce qui vient de Microsoft, et de ne pas trop redouter de le voir «tuer» la concurrence tant les mécanismes de régulation contre une telle éventualité existent en 1992. Evidemment, tout cela est écrit grâce à Word, mon outil de travail de base, et donc sujet à caution !








Sommaire Mac Info. Article précédent Article suivant De Micro à Micro