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Octobre 1991 TÉLÉMATIQUE :
À MI-PARCOURS
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Dans son dernier livre de science-fiction, Earth, dont l'histoire se déroule en 2040, David Brin met en scène «the Net» (le Réseau), avec un «N» majuscule, pour bien marquer qu'à cet époque-là, il n'y plus qu'un seul grand réseau télématique mondial qui relie tous les serveurs d'information, de forums et de messageries électroniques.

L'ordinateur domestico-personnel d'une des héroïnes se charge de rapatrier des dépêches d'information selon une sélection effectuée avec un luxe de détail («Rapatrier les dépêches générales de niveau d'importance 10 ou plus et sonner à l'arrivée ; les dépêches d'astronautique de niveau 7 à 10 — ne les conserver qu'une semaine ; etc.»). Et lorsqu'un autre des protagonistes désire retrouver une information, il lance un «fureteur» sur le Réseau, qui doit tirer de l'océan des données mondiales le renseignement recherché.

Il s'agit là d'une projection assez linéaire de possibilités qui existent déjà, mais elle a le mérite d'illustrer de manière pratique leur devenir tout proche. Et si l'on est persuadé qu'il n'y aura pas besoin d'attendre 2040 pour que ces fonctionnalités viennent à maturité, il est clair que nous ne sommes aujourd'hui qu'à mi-chemin d'une télématique aboutie.

Mais n'allons pas trop vite en besogne et accordons-nous d'abord sur l'objet de notre réflexion. Qu'est-ce que la télématique ? C'est le mariage des télécommunications et de l'informatique ; c'est un moyen de communiquer avec une ou plusieurs autres personnes, de manière privée ou publique ; c'est un moyen de s'informer, en accédant à un ensemble croissant de données consultables. Ce sont pour moi les deux composantes principales : communiquer, s'informer. De celles-ci en découlent quelques autres : une fois informé(e) et à même de communiquer, on peut agir par télématique (commander, réserver, etc.). Enfin, dernier élément moteur intéressant : télématique et télétravail se stimulent mutuellement. Plus la télématique (complétée de la télécopie) offre de fonctionnalités (envoi et réception de documents, réunions télématiques, acquisition d'informations, et même «soirées» en forums thématiques), plus le télétravail (micro-agences décentralisées ou travail à domicile) est viable. En retour, la croissance du télétravail accélère la demande, donc la multiplication de ressources télématiques.

Alors où en sommes-nous de cette évolution, et quels sont les domaines à faire progresser pour la favoriser ?

Interface et présentation

Il y a dix ans, lorsque je faisais mes premières démonstrations de notre service Calvados, le modem standard débitait les caractères (et rien que des caractères) à 300 bits/s, et la présentation de ceux-ci se faisait ligne par ligne (teletype ou TTY). La combinaison de ces deux fâcheuses caractéristiques, ajouté au faible nombre de services proposés, faisait de la télématique quelque chose de tout à fait rébarbatif.

Aujourd'hui, si la plupart des services fonctionnent encore de cette manière en coulisses, on les a presque tous habillés d'une interface homme-machine moins rebutante et plus au goût du jour. Le Minitel a été précurseur dans ce domaine (présentation page par page avec graphiques, commande par touches de fonction universelles) et son succès ne s'est pas fait attendre. Mais c'est sur micro-ordinateur que la télématique peut s'épanouir le mieux. Dans cette optique, le modèle graphique-souris du Macintosh convient particulièrement bien à une simplification de l'utilisation de la télématique : cliquez pour télémater.

Mais pour qu'une interface de présentation fonctionne bien, il faut qu'elle soit adaptée au serveur auquel on se connecte. (Si je clique sur une icône de fichier à télécharger, il faut que le logiciel sache donner au serveur les commandes de lancement du téléchargement.) Comme nous sommes encore très loin du protocole universel de dialogue entre un serveur télématique et un logiciel de présentation, les logiciels de présentation qui sont apparus sont presque tous propres à un serveur donné : sur Macintosh, ce sont notamment Navigator ou CIM pour CompuServe, AppleLink pour AppleLink, ou Clicom pour CalvaCom.

Ces logiciels sont encore assez faibles pour ce qui touche à la recherche de données, et ne traitent bien que la messagerie, les forums, le téléchargement. Voilà donc un premier domaine à améliorer ; la balle est plutôt dans le camp des serveurs, dont les services — au plan de leur programmation — doivent passer de l'interaction (questions/réponses en mode ligne par ligne) au protocole (dialogue concis entre programmes). La proposition d'Apple (MacWorkStation) a eu le mérite d'aller dans le sens d'une normalisation d'un tel protocole, mais n'a jusqu'ici pas donné de grands résultats. Dans un premier temps, c'est chaque grand serveur qui améliorera son offre d'une interface de présentation.

Connexion immédiate ou programmée ?

Les logiciels qu'on vient de citer se rangent en deux catégories : avec AppleLink et CIM, on se connecte au serveur, et la présentation / commande des différents services (de certains services seulement dans le cas de CompuServe) bénéficie d'un habillage icônes-souris assez ergonomique. Mais la facilité d'emploi peut faire perdre le sens du temps de connexion qui passe. Ce n'est pas grave dans le cas d'AppleLink, dont le coût est forfaitaire, mais bien plus dans le cas de CompuServe qui, de France, revient au minimum à 180 francs l'heure. Or le cas d'AppleLink semble atypique (ce n'est pas un serveur ouvert à tous) et le paiement au temps n'est sans doute pas près de disparaître.

C'est pourquoi la deuxième catégorie de logiciels de présentation télématique est probablement celle qui se développera le plus : dans le cas de Navigator ou de Clicom, on prépare d'abord les tâches que l'on veut voir effectuées (je veux envoyer ce message à untel, lire les nouvelles contributions de tel forum, et rechercher les logiciels en téléchargement consacrés à… la couleur), puis on lance la connexion, toutes les tâches étant alors effectuées automatiquement. Le temps passé en connexion est donc minime, et la facture également. Une fois la séance terminée, le logiciel permet de passer en revue le résultat des tâches préparées, et de facilement «faire suite» (répondre à un message, demander le téléchargement de tel logiciel retrouvé, etc.).

Là où le bât blesse, c'est que ce mode différé, plus rationnel, contribue à obscurcir de nouveau l'acte télématique. Conceptuellement, les logiciels de présentation online (en connexion réelle) sont en effet plus simples à appréhender. Je suis connecté, je clique sur cette icône, le téléchargement du fichier commence, tout cela est clair.

En mode différé, c'est plus subtil : il faut que je garde présent à l'esprit le décalage temporel entre mes actes et leur réalisation ; il ne faut pas que j'oublie de lancer la séance après l'avoir préparée. On ne pourra pas faire l'économie de cet effort conceptuel, mais un certain nombre d'améliorations de ces logiciels pourront l'atténuer. (Envoi automatique en fin de préparation, alarmes périodiques si on a demandé de différer cet envoi, etc.)

Il faut cependant préciser que cet effort de préparation est doublement utile dans le cadre d'une recherche d'information, dans la mesure où il oblige à réfléchir à son objectif. Les spécialistes de la recherche sur base de données télématiques le disent, et cela nous touchera individuellement de plus en plus : il faut préparer sa recherche télématique, effectuer un petit travail analytique, pour aboutir à des résultats.

L'«intelligence» des automates

Face à un éventail croissant de possibilités et de manières de télécommuniquer, il est important que l'utilisateur soit déchargé de la responsabilité de choix de plus en plus complexes, pour se concentrer sur son message. Tel correspondant reçoit-il ses messages sur boîte à lettres électronique, sur télécopieur, sur télex ? Est-il à son bureau, dispose-t-il d'un récepteur de radiomessagerie ? Les services de messagerie nous permettent aujourd'hui de diriger les messages vers l'un ou l'autre de ces terminaux (envoi d'un message électronique vers un télex, un télécopieur, etc.), mais il faut encore que nous le fassions explicitement.

Le premier supplément d'«intelligence», c'est à ce niveau qu'on peut le situer, à un horizon assez proche : déléguer au serveur le choix du terminal de destination d'un message. Je veux envoyer ceci à Martin, et le moyen par lequel il le recevra ne m'importe que peu. Le serveur, en fonction des terminaux déclarés par l'abonné Martin, et de ses instructions éventuelles («de 9h à 13h en semaine, m'envoyer les messages sur ce télécopieur ; de 13h à 14h30, bipper mon Alphapage et laisser le message dans ma boîte ; etc.»), prendra la décision adéquate et fera la conversion de format appropriée (les spécialistes parlent de «conversion de protocole»).

Dans le même ordre d'idées, on peut envisager, sur le micro-ordinateur, un module d'aide automatique au choix du réseau ou de la plage horaire de la connexion : en fonction de critères divers — principalement le coût, mais éventuellement la charge, la réservation, etc. —, le module sélectionnera Transpac, ou Numéris, ou un autre futur réseau, et pourra suggérer à l'utilisateur une plage horaire.

Autre domaine ou le besoin d'automatisation est ressenti : le groupage de séances de connexion avec différents serveurs. Nous sommes sans doute aujourd'hui une faible minorité de «cumulards» au plan des abonnements télématiques, mais cette population est naturellement amenée à croître. Il est vrai qu'à terme, les interconnexions de serveurs, et la boîte à lettres unique par personne au niveau mondial rendront transparent le passage d'un serveur à l'autre. Mais ce terme est encore relativement éloigné.

Aujourd'hui, j'ai personnellement quatre boîtes à lettres électroniques sur CompuServe, CalvaCom, AppleLink, et Minicom ; sur les deux premiers services, je participe à certains forums, je télécharge, et je recherche parfois des informations. Il me serait utile qu'un automate de supervision enchaîne intelligemment les différents logiciels d'exploitation de ces serveurs. AppleScript, le très attendu langage de commande global d'Apple devrait prochaînement m'y aider.

Le fureteur et l’information mondiale au bout des doigts

S'il est un aspect particulièrement excitant de la télématique, c'est la promesse qu'elle nous fait de disposer de toute l'information du monde au bout des doigts. Ne plus se creuser la tête pour se rappeler où l'on a bien pu voir passer telle information ; ne plus regretter de s'être débarrassé de tel document au moment où une info qu'il contenait s'avèrerait bien utile ; ne plus s'obliger à empiler les revues en tablant sur un éventuel besoin ultérieur…

Mais l'océan des données mondiales sur support informatique n'est encore qu'un ensemble assez disparate de bases. Regroupements et interconnexions ont déjà commencé. CompuServe doit être le pôle le plus important de ce mouvement, puisqu'il propose plus de 1000 bases de données. Il est ainsi amusant de constater que lorsqu'on demande, par exemple, à consulter l'annuaire Dun & Bradstreet des entreprises américaines, on quitte momentanément CompuServe pour une connexion automatique à Telebase — sans doute distributeur primaire de D & B —, où se fait une préparation interactive de la recherche ; il y a ensuite un nouveau changement de centre serveur, pour aboutir probablement à celui de D & B où se déroule la recherche. Notons en passant que la nouvelle fonctionnalité de «reroutage» sur Télétel apporte en standard le même type de possibilités à nos serveurs vidéotex nationaux.

Pour revenir à CompuServe, un des services d'information qu'il propose constitue précisément la première mouture de ces dispositifs de recherche «intelligents» que nous appelons de nos vœux. Le service IQuest combine en effet l'accès à plus de 850 bases de données mondiales, et gère cet ensemble de manière transparente pour l'utilisateur. Autrement dit, on indique le sujet de sa recherche, et IQuest commence d'abord par sélectionner la ou les bases de données adéquates, puis effectue la recherche dans celle(s)-ci.

Pour améliorer encore cette aide à la recherche, on conçoit assez bien un développement de cette architecture de couches successives rapprochant le service de l'utilisateur et en multipliant la portée. Demain, cela peut aboutir, par exemple, à un serveur local se chargeant d'interroger pour nous non seulement CompuServe et IQuest, mais toutes les banques disponibles par ailleurs.

Le «fureteur» de David Brin est un concept séduisant, parce que nous l'investissons de pratiquement toute l'intelligence mise en jeu pour la recherche et qu'il est doué d'autonomie. Il furète d'un grand serveur à l'autre, interroge l'un après l'autre les agents «bibliothécaires» de chaque banque, accumule les données, et revient à bon port, «ses petits bras» (comme dirait Coluche) chargés de données. Ce bon chien adapté à la chasse la plus importante des décennies actuelle et à venir, celle des données, ne participe sans doute pas d'un scénario réaliste en la matière. En réalité, on l'a vu, l'«intelligence» de recherche sera répartie, chacun (chaque serveur) gérant sa couche et ses interfaces.

Le coût

Autant les coûts d'utilisation des messageries et forums électroniques (en général 60 à 100 F l'heure de connexion) sont adaptés à la demande et cohérent avec les services que ceux-ci rendent, autant ceux attachés à l'interrogation de banques de données paraissent pour l'instant excessifs. A titre d'exemple, sur IQuest, l'aide à la sélection de la bonne base coûte $5, et l'acquisition de 10 titres d'articles correspondant à la recherche, avec droit à lecture d'un des articles coûte $9, non compris une surcharge éventuelle de $4 à $25 pour le producteur de la base elle-même.

On arrive donc à un total d'au moins 100 francs pour l'acquisition d'une information. Si elle est cruciale, ça n'est pas cher ; mais s'il s'agit, comme nous en rêvions plus haut, de remplacer nos archives papier par un cordon ombilical sur l'information du monde, c'est tout à fait inadapté. D'autant que les disques optiques compacts de référence (CD-ROM ou DOC) se multiplient et constituent une alternative bien séduisante. 300 Mo d'information par face, sur un disque qu'on achète en connaissance de cause pour quelques centaines, voire quelques milliers de Francs, prenant peu de place physique et exploitable par recherche informatisée, voilà qui est de très bon aloi.

Les seuls avantages des bases de données distantes, par rapport à cela, ce sont la plus grande fraîcheur de l'information (si les bases sont bien entretenues), et la possibilité d'accéder à des informations dont on n'a pas prévu le besoin à l'avance. Quelle que soit la logique économique qui amène actuellement les serveurs de bases de données à faire payer leurs services aussi chers, il y a là une mini-révolution à faire (le forfait mensuel d'accès à toutes les données ?) pour assurer le décollage réel de leur utilisation.

Dans cette liste des facteurs clefs pour le développement de la télématique, on aurait tout aussi bien pu placer en tête de paragraphes la question de l'interconnexion mondiale des serveurs ou celle de l'unification des annuaires, que nous n'avons qu'évoquées.

D'autres aspects — moins techniques, plus socio-culturels — sont aussi éminemment intéressants. Ainsi la profusion des forums électroniques sur les sujets les plus divers peut-elle facilement nous amener à trop communiquer. Mais aussi : ces forums sont le fondement de ce qu'on commence à appeler aux Etats-Unis la modémocratie, la démocratie par modem. De plus en plus d'associations travaillent de cette manière, les mouvements d'opinions s'organisent online... Bref, la télématique n'est pas loin de devenir un mode de vie, ou tout au moins tout un pan de vie. Nous y reviendrons sans doute ; d'ici là, n'hésitez pas — même si le slogan date des années 83-85, il n'est pas démodé : branchez-vous !








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