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Septembre 1991 APPLE/IBM
LA FIN DE LA GUERRE FROIDE
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Le mois dernier, des dirigeants d'Apple ont traversé d'Ouest en Est les États-Unis pour rencontrer leurs homologues d'IBM et discuter de possibilités de partenariat ou d'échange de technologies.

Une telle nouvelle n'a pas manqué de faire du bruit au sein de l'industrie informatique. En effet, tout ou presque a, pendant de nombreuses années, opposé ces deux sociétés : origine, matériels, logiciels d'exploitation, mais aussi style et symbolisme. Je lisais ainsi il y a peu dans Time Magazine l'expression «…aussi incompatibles qu'Apple et IBM…» employée à propos de tout autre chose que d'informatique, comme s'il s'agissait d'une vérité proverbiale.

Ne serait-ce que dans leur origine, la différence est déjà frappante : IBM est une société du début du siècle (1914), héritière du siècle du machinisme, qui a su, à partir de sa position dominante sur le marché des business machines (machines électromécaniques à pointer, à calculer, à tabuler), jouer un rôle primordial dans la naissance de l'informatique et s'affirmer comme le premier des fabricants d'ordinateurs.

Apple, d'une certaine manière, est son petit-fils turbulent, une entreprise post-soixante-huitarde née dans un garage et inspirée par les Beatles et la contre-culture. D'où les différences de style et de symbolisme. Face au géant IBM dont les grandes machines représentaient il y a quinze ans l'informatique grise, administrative, celle des cartes perforées, celle à consonance réductrice («Je ne suis pas un numéro !», «1984», etc.), Apple se veut le chantre de l'informatique douce, à échelle humaine, ludique, bref, qui libère au lieu d'astreindre. Le symbole de la pomme s'oppose aux trois lettres sèches du logo d'IBM, et le multicolore répond au bleu uniforme. Avec deux trajectoires si dissemblables et une opposition tant affirmée, comment se peut-il qu'aujourd'hui, les deux firmes envisagent de collaborer ?

En fait, à partir du moment où il devint clair qu'Apple, avec deux concurrents un peu en retrait (Tandy et Commodore), avait réussi à populariser le micro-ordinateur, les deux compagnies commencèrent, plus ou moins perceptiblement, à s'influencer l'une l'autre, ou peut-être faut-il dire qu'elles surent chacune être réaliste devant les leçons données par l'autre.

Premier acte : après avoir longtemps considéré le micro-ordinateur comme un jouet peu digne d'être fabriqué par lui, IBM se rend à la raison des centaines de milliers d'Apple II vendus depuis 1977 et lance son projet de micro. N'ayant pas d'expérience en la matière et pressé par le temps, il fait appel à Intel pour le cœur de la machine (8088), à Microsoft pour le système d'exploitation (DOS) : l'IBM PC voit le jour en 1981.

Acte 2 : Des millions de professionnels ont foi en IBM et ses produits ; pour goûter à la micro-informatique, ils ont attendu une machine de la marque ; le succès du PC est donc fulgurant. Comme de plus, Microsoft n'a aucune raison de ne pas vendre des licences de son DOS à d'autres constructeurs, et qu'Intel est tout aussi désireux de vendre ses processeurs, cet ensemble matériel/logiciel de base est proposé par un grand nombre de fabricants, ce qui contribue à faire pression sur les prix et à rendre ces machines relativement bon marché.

Acte 3 : Alors que la plupart des constructeurs qui avaient auparavant un système qui leur était propre adoptent l'un après l'autre le «standard» et deviennent des «compatibles», Apple persiste et signe avec talent dans le culte de la différence enrichissante en sortant Macintosh en 1984. Difficile de faire plus «incompatible», et les années 1984-1985 sont ardues pour la pomme. Pendant ce temps, IBM peste de perdre ses parts du marché micro au profit desdits compatibles.

Acte 4 : Lentement mais sûrement, Apple entame une révolution culturelle. Le standard IBM n'est plus l'épouvantail, mais une réalité dont il faut tenir compte (près de 90% du marché !). C'est d'abord un lecteur de disquettes MS-DOS qui est proposé pour Macintosh, puis les lecteurs 3"1/2 deviennent compatibles, enfin une carte AppleTalk est proposée aux PC.

Acte 5 : IBM annonce en 1987 de nouvelles machines, les PS/2, un nouveau système d'exploitation, OS/2 — toujours avec Microsoft mais en le protégeant mieux — , et un nouveau bus, MCA, tout cela pour mieux «re-fermer» son marché. Apple n'a plus du tout de tabous anti-IBM et sort une carte TokenTalk qui permet aux Macintosh de s'intégrer à un réseau IBM.

De nouvelles machines bon marché sortent enfin en 1990 et marquent un changement de nature pour les produits d'Apple : la demande est plus forte mais les marges sont plus faibles, et la capacité de production a du mal à suivre. Du côté d'IBM, on ne doit pas être très satisfait de voir Microsoft promouvoir activement Windows, la couche logicielle de présentation pour l'instant réservée au DOS, alors qu'on propose le produit maison, Presentation Manager, aux utilisateurs d'OS/2.

Ainsi, Apple et IBM étant devenus après 10 ans à peine les deux premiers constructeurs de micros (Compaq jouant les trouble-fêtes, mais à titre de «compatible»), il se trouve qu'ils atteignent 1991 avec des besoins somme toute assez complémentaires. Schématiquement, dans le cadre d'accords éventuels, Apple bénéficierait du processeur RISC d'IBM pour ses futures machines. Il trouverait un partenaire pour épauler un effort de recherche déjà considérable (près de 3 milliards de francs en 1991) mais pourtant sans doute encore insuffisant face aux enjeux des années à venir.

Enfin Apple, ayant prouvé qu'il était suffisamment mûr pour négocier avec le géant IBM et que ce dernier le prenait au sérieux, y gagnerait la dernière amélioration nécessaire de sa crédibilité en milieu professionnel. IBM, de son côté, obtiendrait avec le futur MacOS indépendant de tout processeur particulier un système d'exploitation de qualité supérieure et protégé pour ses micros et systèmes intermédiaires. Il aurait accès à des technologies importantes qu'il ne possède pas, comme QuickTime. Et puis il annulerait sa dépendance vis-à-vis de Microsoft.

Face à un tel bouleversement, les supporters d'Apple — ceux qui ont toujours éprouvé une attirance particulière pour les machines frappées de la pomme, et qui en utilisent une ou plusieurs aujourd'hui —, ont une réaction diverse. Certains se réjouissent de la rumeur : ils apprécient que le fabricant qui a toujours eu leurs faveurs soit enfin reconnu par le plus gros des gros, trouvent plus efficace que les deux principaux acteurs du marché travaillent de concert, et sont émoustillés par les perspectives que cela peut ouvrir.

Pour d'autres, la nouvelle est comme un gros coup de bâton sur la tête. Ils ont choisi Apple pour son côté pas comme les autres, polo plutôt que costume trois pièces, et voilà le symbole de la contre-culture en informatique qui pactise avec l'ennemi juré, celui dont le nom seul était tellement détestable qu'on l'écrivait *** ou I*M. Si cette dernière attitude est à mes yeux un peu trop romantique et ingénue par les temps qui courent , la problématique de la «différence» débouche sur une vraie question : si Apple offre son savoir-faire logiciel à IBM et si ce dernier donne à Apple le fruit de ses recherches sur le matériel, par quoi leurs machines se distingueront-elles les unes des autres ? Mais cette question un peu «primaire» montre bien qu'il est trop tôt, à l'heure des premières discussions, pour dessiner les contours des machines issues d'un tel mariage. Il s'agit en tout cas du plus intéressant des feuilletons de l'été et nous ne manquerons pas d'en suivre l'évolution pour vous.








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