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Juillet 1991 LA PART DE RÊVE Cliquez pour retrouver, en bas de cette page, des boutons de navigation

Pourquoi Univers Mac a-t-il consacré sept pleine pages de son numéro 2 à Next, sa filiale française, ses machines ? Comment expliquer que la plupart des directeurs de Next France soient d'anciens d'Apple France ?

Qu'est-ce qui fait que le principal fanzine français sur Macintosh (MicMac, de Michel Coste) devienne ostensiblement un fanzine Next ? Et au moment où un abonné de CompuServe note en forum, à la suite d'une sortie d'un amateur d'Amiga contre Macintosh : «il est peut-être temps que tous les utilisateurs de micro-ordinateurs se rendent compte qu'on a dépassé le temps des querelles de chapelles», comment se fait-il que les animateurs de la « Cité Mac » de CalvaCom ne veuillent pas entendre parler d'un forum Next dans leur espace, et que l'animateur dudit forum Next — exilé en Cité Unix ! — brûle ce qu'il a adoré en incendiant Macintosh pour encenser NeXTcube ?

Mais de quoi est-il question au juste ? Le débat a été lancé par une professeur de dissertation, qui enseigne en première année de fac à l'Université du Delaware, Marcia People Halio. Dans ces classes, l'usage d'un micro-ordinateur est obligatoire pour la rédaction, mais certaines classes se voient affecter des PC, d'autres des Macintosh. Marcia Halio a, depuis 1987, cru remarquer des différences globales de qualité entre les papiers rendus par les classes où sont utilisés des PC et ceux produits par les étudiants travaillant sur Macintosh.

Réponse à toutes ces questions : la passion. Et Steve Jobs, géniteur des deux machines, qui sait magnifiquement la susciter. Comme pour tout objet de consommation, ceux qui s'occupent de concevoir et de faire vendre les micro-ordinateurs s'appliquent à en faire des objets désirables. Un désir qui ne se focalise pas seulement sur des aspects esthétiques, passionnels, mais aussi sur des critères fonctionnels, objectifs, ou qui en ont tout l'air.

On peut schématiquement dire qu'aux premiers est consacré l'extérieur de la machine, l'intérieur représentant les seconds. Dedans, c'est du matériel pur et dur, du hard, des chiffres. Ne rigolez pas, jusque récemment, tout le désir qu'on pouvait investir dans une machine MS-DOS était de cet ordre (386, 486, 33 MHz, etc.). La question centrale, c'est «Combien il en a ?» (de RAM, d'espace disque, de connecteurs, de puissance de processeur, etc.).

Ce n'est pas parce qu'il sont parés d'un «plumage» à l'attrait non discutable, que Macintosh et Next ne fonctionnent pas aussi sur ce mode-là : d'un côté le microprocesseur 68040 des machines Next et ses 15 MIPS (millions d'instructions par seconde) fascinent comme l'énoncé des caractéristiques d'une Testarossa, de l'autre, on s'enthousiasme que le nouveau Système 7 permette l'adressage théorique de 4 gigaoctets de mémoire vive !

Mais il y a autre chose, de moins matérialiste : dedans, ce sont les constituants de la machine, ce qui lui «donne vie». Au départ, les composants étaient concentrés, en rangs serrés, circuits intégrés, bobines, condensateurs, etc. Et puis on a mis tout un Apple II sur une seule puce (dans l'Apple IIGS et la nouvelle carte Apple IIe pour Macintosh LC). Désormais, chaque nouveau modèle pousse l'intégration un peu plus loin.

Et ce qui nous fascine, aussi, c'est cette épuration progressive, qui tend vers un dedans vide, vers des entrailles lisses, vers un ordinateur concentré dans quelques bouts de silicium et qui aurait des allures d'objet magique. Le vertige, c'est peut-être aussi le sentiment qui nous saisit quand, ayant utilisé les micro-ordinateurs depuis plusieurs années, nous regardons en arrière. A chacun de nos achats, on nous a quasiment promis the ultimate machine (la machine qui n'aurait pas de successeur tellement elle était puissante et bien réussie), nous avons tout aussi régulièrement dépensé des sommes importantes, et la machine ultime, bien entendu, n'est pas pour aujourd'hui, même si le NeXTdimension a l'air d'en avoir les couleurs.

Dans une large mesure, cette évolution continue se retrouve à l'extérieur du micro-ordinateur, dans son esthétique et dans son interface homme-machine. Macintosh a tranché par son originalité dans les deux domaines, avec une intégration de l'écran qui en faisait un objet désirable et une interface qui introduisait le plaisir de l'analogie dans le travail. L'effort esthétique s'est relâché avec les Macintosh II et IIc, qui n'ont pour eux que l'unité de style de leurs différents éléments, mais la sortie récente des Macintosh LC et IIsi montre qu'on est conscient, chez Apple, du léger déficit en la matière.

En créant par défi Next après avoir été évincé de sa première société, Steve Jobs ne pouvait que pousser un peu plus loin l'argument de la séduction par l'enveloppe. La plupart des autres micros étaient blanchâtres, notamment Macintosh ? Next serait noir comme jais, avec pour logo la touche multicolore qui avait si bien réussi à Apple. La forme simplement cubique, mais exactement d'un pied d'arête marquerait la beauté du rationnel, à la Léonard de Vinci. Et l'on ne manquerait pas de faire la synthèse des idées les plus récentes en matière d'interface homme-machine graphique, de pousser plus loin l'intégration des applications et des groupes de travail. Avec un résultat tout à fait séduisant à la clef.

Ce souci de l'esthétique et d'une interaction facilitée avec la machine est cependant désormais partagé (concurrence oblige) par les opérateurs du «monde» IBM et compatibles. Le portable est né avec un génotype MS-DOS, et dans son concept même (j'emmène mon ordinateur avec moi), il s'est imposé comme un objet de désir immédiat. C'est sur lui, pour renforcer cet effet, que les constructeurs ont fait porter l'essentiel de leurs efforts de plastique. Pour faire mieux désirer leurs machines face au chant des sirènes qui psalmodient «icônes», «souris», «analogies graphiques», Microsoft leur propose un Windows 3 assez bien ficelé.

En réalité, les concepts d'interface graphique-souris développés au PARC de Xerox dans les années 70 et popularisés par Apple dans les années 80 ont maintenant convaincu tout le monde. Apple pourrait concevoir un léger dépit d'avoir fait seul tout le travail de sensibilisation à cette ergonomie et de voir aujourd'hui deux principaux concurrents ramasser les marrons du feu, mais c'est la loi du genre, bien entendu, et les arguties juridiques pour essayer ici ou là de protéger qui son look and feel, qui ses concepts sont des tactiques secondaires du type «bâtons dans les roues du voisin». En attendant, cette part de rêve-là (l'interface graphique) est devenue réalité. Et pour les constructeurs/éditeurs, il s'agit de maintenir l'intérêt et le désir ; en créant de nouveaux besoins ou de nouvelles envies.

Les nouveaux besoins ce sont des applications, à qui est délégué la tâche de faire envie. Tout n'est pas artificiel, et certaines ont un pouvoir de séduction justifié par leur apport réel. Les meilleurs exemples en la matière sont bien sûr la PAO, et plus loin de nous le tableur. Dans d'autres cas, le besoin est un peu moins universel (la PréAO), ou carrément tape à côté (Intelligence Artificielle). Aujourd'hui, c'est le multimédia qu'on nous «vend», avec des arguments qui portent. Plus globalement, nous rêvons à un ordinateur de poche qui aurait la puissance de nos super-micros, serait relié en permanence aux réseaux de données et de communication, et renfermerait des trésors d'outils de synthèse et de recherche de l'information.

On en vient toutefois à se demander si l'«objet du désir» doit nécessairement être cher, voire inaccessible. Car il est assez ironique de constater qu'au moment même où Macintosh devient vraiment l'ordinateur pour tous (for the rest of us) que nous avons rêvé dès 1983 (et Lisa à 100 000 Francs), il perd de son statut d'objet rêvé.

Que cela ne nous conduise pas, toutefois, à bouder notre plaisir d'un rêve devenu réalité : les prix des machines Next, s'ils sont plus abordables qu'avant, sont encore échelonnés un ou deux crans au-dessus de ceux d'Apple. Et puis une partie du travail d'Apple, c'est de réintroduire régulièrement de la part de rêve dans Macintosh. Parfois c'est très réussi, parfois ça l'est moins, mais avant que l'année 1991 ne soit écoulée, attendons-nous à voir la firme de Cupertino réagir avec vigueur et interpeller, quelque part, notre irrésistible envie de rêve.

Quant à Next, on lui est reconnaissant de réveiller notre enthousiasme pour des ordinateurs qui ne sont pas révolutionnaires, mais sont beaux, bons, et font évoluer l'état de l'art. Le pari de la séduction, il l'a déjà largement gagné. La bataille de la pénétration en entreprise, elle, sera probablement ardue. On lui souhaite bien sincèrement de la réussir.








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