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Mai 1991 MACINTOSH REND-IL BÊTE ? Cliquez pour retrouver, en bas de cette page, des boutons de navigation

La question volontairement provocante qui a récemment agité une bonne partie de la presse informatique et des forums électroniques américains est surprenante, et peu vraisemblable à première vue.

Comment ? Cette machine qui nous semble avoir résolument rapproché l'outil informatique de tout un chacun serait en réalité une bombe à retardement, une ramolisseuse de cerveaux, un instrument d'abêtissement de notre belle jeunesse ? Peu crédible.

Mais de quoi est-il question au juste ? Le débat a été lancé par une professeur de dissertation, qui enseigne en première année de fac à l'Université du Delaware, Marcia People Halio. Dans ces classes, l'usage d'un micro-ordinateur est obligatoire pour la rédaction, mais certaines classes se voient affecter des PC, d'autres des Macintosh. Marcia Halio a, depuis 1987, cru remarquer des différences globales de qualité entre les papiers rendus par les classes où sont utilisés des PC et ceux produits par les étudiants travaillant sur Macintosh.

Les utilisateurs de Macintosh préfèrent les petits Mickeys

Alertant ses collègues enseignant le même cours, elle découvre qu'ils confirment cette impression. Ensemble, ils essayent d'étayer ce sentiment en faisant appel à un logiciel d'analyse de texte, Writer's Workbench. Leur soupçons sont corroborés, puisqu'il apparaît que seuls 30% des utilisateurs de Mac produisent des phrases complexes, contre 50% d'utilisateurs de PC ; que la longueur moyenne des phrases est de 16 mots dans un cas, de 23 dans l'autre ; et que l'appréciation de lisibilité donnée par le programme indique un niveau de classe de Terminale pour les PCistes mais de 4ème seulement pour les Macintoshiens.

Bien sûr, on pourra dire que la méthodologie analytique du logiciel en question est sans doute simpliste et qu'il ne traite ni le contenu réel, ni la qualité des textes ; mais il faut bien convenir que l'appréciation subjective de Marcia Halio, qui a tout déclenché, portait précisément sur ces aspects. Il y a donc, pour le moins, une certaine convergence de l'analytique et de l'émotionnel.

Trop d'embellissement, trop peu de contenu ?

Maintenant, il faut être honnête, le titre du rapport de Mme Halio, c'est «Dissertations : l'outil peut-il dégrader le contenu ?», et non pas «Macintosh rend-il stupide ?». Et si je n'ai pas mieux réussi que mes collègues d'Outre-Atlantique à résister à ce raccourci falsificateur pour vous attirer l'œil et vous faire un peu tourner les sangs, nous restons néanmoins avec un intéressant sujet de débat. Qu'il a pu nous arriver à tous d'évoquer, et qui s'énonce ainsi : les possibilités d'embellissement graphique de Macintosh nuisent-elles au contenu des documents qu'il sert à produire ?

C'est en tout cas la thèse de Marcia Halio, qui constate que les étudiants Macistes passent plus de temps à encadrer, à choisir leurs polices de caractères, à ajouter des dessins, à soigner la mise en page qu'à réfléchir au sujet lui-même et à développer une argumentation. Et que leurs dissertations portent sur des sujets plus frivoles et ont moins de style que celles des utilisateurs de PC.

Bien entendu, ses contradicteurs ont été nombreux, pour dire d'abord qu'ils n'avaient pas constaté, eux, de baisse de créativité écrite chez leurs étudiants utilisateurs de Macintosh. Et pour ajouter qu'à leur avis, l'embellissement graphique, c'était aussi du «contenu», du sens.

On voit assez bien dans cette opposition une ligne de partage entre ceux qui pensent que la capacité de bien écrire est directement liée à la faculté de réfléchir, d'analyser, et qu'elle est en danger, et ceux qui croient qu'aujourd'hui et demain sont résolument multimédias et qu'il est normal, voire même décisif de s'habituer à communiquer sous plusieurs modes simultanément.

Macintosh fait-il perdre du temps ?

So far, so good, — comme disent les américains quand ils ont un peu débroussaillé la question sans toutefois en avoir fait le tour — il s'agit donc d'un débat entre «anciens» et «modernes», ce qui ne nous rajeunit pas.

Et qui nous pousse à prendre en plein article un virage susceptible de nous faire quitter les questions un tantinet oiseuses et dramatisées à nos yeux des américains et de nous conduire vers celle qui paraîtra pertinente à notre esprit français : «Macintosh fait-il perdre du temps ?». Voilà, pas de grande prise de tête sur le devenir du monde, mais du concret, du quotidien, du «je me le suis souvent demandé» : sous le prétexte de faire joli, abuserions-nous par hasard des petits mickeys, ce qui expliquerait par parenthèse ces retards fréquents pris dans notre travail ?

Car les occasions de travailler le «look», sur Macintosh, sont nombreuses. Il y a d'abord la personnalisation de l'environnement de travail. Il peut ainsi nous arriver, au beau milieu d'un travail, de nous dire «Mmmm, il faut absolument que je mette des icônes couleurs à tous les logiciels du dossier «Applis», cette vacuité chromatique est insoutenable !». Et nous voilà parti(e) pour une demi-heure (au mieux !) de bricolage.

Ou bien nous ressentirons l'impérieuse nécessité que les fenêtres de plusieurs dossiers s'ouvrent dans la plus harmonieuse des dispositions, sans aucunement se chevaucher, mais en s'effleurant à un pixel de distance, et en occupant au mieux l'espace à l'écran. Voilà quelques minutes studieusement passées ! Et je glisserai rapidement sur les transformations diverses des barres de titre des fenêtres, des bandes de défilement, des couleurs des menus et autres atteintes sacrilèges à la pomme du menu du même nom.

Il y a ensuite l'intervention sur l'aspect des documents que nous produisons. Quelques filets maigres ici ou là, un pied de page et un en-tête bien balancés, oui mais là, ça n'est pas au bon endroit, tiens je réessaye, mais nom de nom c'est cette laser qui dé…bloque, ou quoi ? Bon, c'est peut-être parce que je n'ai pas bien lu le manuel, ou est-il ? Voilà, mmm, mmm, mmm, bof pas très clair, bon tant pis, allez, pas de filets !

Cela dit, ces essais marchent plus souvent qu'ils n'échouent, mais au prix d'un temps passé non négligeable. Bien passé ou pas ?

Désapprendre à «bien faire»

Dans le premier cas (les icônes, les fenêtres, etc.), il est beaucoup plus question de plaisir que d'autre chose. De «plaisir des yeux» et du plaisir de personnaliser son outil. Alors perd-on du temps lorsqu'on prend plaisir ? Sans doute non.

Dans le deuxième cas — le plus intéressant —, il s'agit à la fois de faire preuve de grand discernement, et de désapprendre à «bien faire». Du discernement pour distinguer sans retard les documents pouvant réellement bénéficier d'un travail sur l'aspect de ceux qui n'en ont pas vraiment besoin. Avec les premiers, ce peaufinage doit amener, pour le destinataire du document, un supplément de sens utile, soit sur le contenu, soit sur le producteur, c'est-à-dire vous-même. (Si le document n'est réalisé que pour votre usage, nous revenons au cas 1, celui du plaisir.)

C'est dans tous les autres cas qu'il est urgent d'oublier le perfectionnisme auquel nous sommes nombreux à céder sur Macintosh. Une lettre à un correspondant connu ? Utilisons strictement notre modèle de lettre habituel. Un rapport interne et intermédiaire ? Ne nous attardons pas sur le positionnement de l'en-tête. Une feuille de calcul prévisionnelle à partager en petit comité ? Il n'est sans doute pas utile de s'échiner sur tous les encadrements.

Car voilà bien le paradoxe : nous disposons d'un puissant outil de production de documents, et nous devons nous en défier à chaque instant, ne pas nous laisser obnubiler par lui. Disons-le autrement : cet outil productif étant également un engin ludique, nous devons constamment contrôler l'envie de jeu qu'il suscite en nous au cours même du processus créateur. Y a-t-il lieu de s'en plaindre ? Macintosh est un instrument primordial de la réunification travail/plaisir/jeu et nous en sommes les acteurs tâtonnants. Dans ce cadre, on trouve Marcia Halio un tantinet injuste de s'en prendre à des étudiants bien jeunes qui tâtonnent encore plus que nous. Et le niveau de culture des jeunes américains est un autre problème, sans doute hors-sujet ici.








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