Dans son numéro d'avril dernier, notre confrère MacUser (l'américain) révélait que Tandy venait de passer un contrat avec Apple pour produire le nouveau low end Mac, le Macintosh bas de gamme. Emoi momentané chez le lecteur ! La machine s'appellerait Macintosh RS (comme Really Small, ou bien comme l'autre marque de Tandy, Radio Shack), possèderait un microprocesseur 68030 (celui des Mac haut de gamme), 2 Mo de mémoire, et n'aurait aucune possibilité d'extension. Il est certain que cette information possède toute l'allure d'un poisson de saison, mais certains n'en sont pas si sûrs, arguant que Tandy a des capacités de production inexploitées et que le «petit Macintosh» chauffe du côté d'Apple. Qui vivra verra, mais il est amusant de constater que le sujet du Mac bas de gamme n'est pas pour la première fois objet de canular avrilesque. L'année dernière, MacWorld en avait fait un poisson de choix, en présentant Bill Gates et Microsoft comme étant sur le point de sortir un clone de Macintosh à 1000$.

Cet empressement à vouloir devancer la sortie d'une machine qui se fait attendre est bien naturel : face à un objet de désir qui est aussi un des meilleurs outils de travail qui soit, le seul regret, ou presque qui anime l'utilisateur et l'amateur de Macintosh est celui de la cherté de la machine. Alors il appelle de ses vœux un aggiornamento de la politique des prix chez Apple, consacré par la sortie d'un «bas de gamme» autour de 10000 Francs. Il est convaincu, cet amateur, qu'à ce prix-là, le Macintosh va enfin pénétrer dans tous les foyers et engendrer une génération de lycéens et d'étudiants dont le réflexe sera désormais face à l'informatique : «Un Macintosh, sinon rien».

Car ce zélateur d'Apple et du Macintosh, s'il est intéressé par des prix abaissés d'abord pour lui-même l'est aussi par prosélytisme; il veut que les Macintosh se répandent ! De là à supputer à la place du constructeur sur le Macintosh bas de gamme, ses caractéristiques, son prix, et sa date de sortie, il y a le pas qui amène aux éternelles discussions de «Café du commerce», où l'on avance les positions les plus affirmées sans souvent savoir de quoi l'on parle et ce qui est en jeu. Et où l'on prend souvent ses désirs pour des possibilités réalistes.

Moi le premier, d'ailleurs, comme des milliers d'entre vous. Ainsi, nous sommes certainement une majorité, lorsqu'on nous demande à brûle-pourpoint comment nous imaginons ce Macintosh «abordable», à l'envisager muni du processeur 68030, car comment pourrait-on sortir aujourd'hui un Mac avec un processeur plus ancien ?, doté d'un disque dur, bien entendu, car il n'est plus envisageable de s'en passer, équipé d'au moins 2 Mo de mémoire pour tirer pleinement parti des gâteries annoncées du Système 7, et…et…et… tout cela avec un affichage en couleurs, ne serait-ce que pour être tout à fait adapté aux dizaines de jeux qu'une machine de cette catégorie aurait certainement vocation à servir.

Bref, nous rêvons gentiment au Mac et à l'argent du Mac réunis sous le même toit. Il y a toutes les chances que ces conjectures ne soient, en effet, que rêverie, mais pas pour la première raison qui vient à l'esprit : impossible d'offrir tant pour si peu cher. Possible, ça l'est certainement, quitte à placer la barre entre 15000 et 20000 Francs et à réduire un peu les marges en tablant sur un plus grand volume.

Non, ce qui fait de cette question du Macintosh bas de gamme un casse-tête redoutable, c'est le positionnement marketing du produit. A supposer qu'Apple lance la machine «rêvée» ci-dessus, qu'arrive-t-il, d'après vous, au reste de la gamme Macintosh 68030, sachant que le premier modèle pourvu de ce microprocesseur, le SE/30 2/40, s'affiche à 35000 Francs ? Et même si l'on s'en tient à quelque chose de moins puissant, comme un 68000 à 16 MHz, c'est une opération qui aurait toutes les chances de «cannibaliser» une partie du marché des autres modèles, complétant d'un volet sérieusement négatif l'intérêt des fortes ventes probables de la nouvelle machine.

L'importance de la «politique», de la loi du marché sur les prix se lit d'ailleurs en d'autres circonstances. C'est ainsi, par exemple, qu'il faut prendre l'annonce, en Septembre 1989, du Macintosh IIci au prix de 65000 Francs (modèle 4/40), suivie, six mois plus tard, de la baisse de plus de 10% de ce prix, qui s'établit le 19 mars 1990 à 58000 Francs. Ce n'est pas tant le coût de revient de la machine qui a ainsi baissé en six mois, comme on l'imagine. Il s'agit plutôt d'une double influence «marketing» : d'une part on fixe au départ un prix maximal pour éviter une demande trop forte par rapport aux capacités naissantes de production, quitte à le relâcher dès que la production est bien lancée; d'autre part, l'arrivée d'un nouveau modèle, le Macintosh IIfx, oblige à un rééchelonnement des tarifs de la gamme. Ce réaménagement est bien moins casse-tête que celui qu'imposerait notre machine bas de gamme idéale citée plus haut : il se fait par le haut, avec baisse proportionnelle de chaque échelon situé en dessous.

Face aux maux de tête causés par une introduction de ce low end Mac, ma réaction est double et s'appuie sur l'existant. Si on me met en avant le côté couleur, familial que ce petit Mac devrait avoir en priorité, j'évoque assez rapidement l'Apple IIgs, qui n'en finit plus de se rapprocher du Macintosh, justement, avec compatibilité AppleTalk, SCSI, fontes de caractères, bientôt HyperCard, un Finder cousin, etc. En général, mon interlocuteur fait alors la moue, comme l'a peut-être fait Jean-Louis Gassée lorsque John Sculley lui tenait le même genre de propos.

On a souvent dit en effet que les deux responsables d'Apple incarnaient chacun une des options opposées pour ce Mac d'entrée de gamme, le français étant partisan d'un Macintosh «sans compromis». Face à ce genre d'objection, je dégaine alors ma seconde solution «réaliste» : le Macintosh Plus. Ce top model de 1986 a en effet, à force de rééchelonnements successifs, descendu l'échelle de la gamme Macintosh jusqu'à coûter aujourd'hui 13000 Francs neuf, et 7000 à 8000 Francs en seconde main. On trouve des configurations d'occasion comprenant un disque dur de 20 ou 30 Mo pour environ 10000 Francs, ce qui se situe dans la gamme de prix dont nous parlons. Quoi, vous êtes déçu ? Faire du Macintosh Plus d'occasion le Macintosh d'entrée de gamme manque terriblement de sel ?

Mais dans cette affaire, ce n'est pas d'un gadget que nous parlons, ou de la dernière machine qu'il est de bon ton d'avoir. Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse familiale mais appropriée. Jérémie Lumbroso a 3 ans, et depuis l'âge de 2 ans, le Macintosh fait partie de son univers familier parce que ses parents utilisent ces machines dans leur profession. Le grand frère d'un de ses copains de crèche, Jean-Philippe, 9 ans, profite de sa console Nintendo, mais en sent bien les limites. Depuis qu'il a découvert le Macintosh, chez nous et ailleurs, il brûle d'en avoir un et en parle régulièrement à ses parents.

Le meilleur conseil que j'aie pu leur donner, c'est d'acquérir un Mac Plus d'occasion; et 10000 Francs, c'est déjà un très gros effort financier pour donner plus de chances d'épanouissement à leur fils. Mais il le feront peut-être. Des Jean-Philippe, il doit y en avoir des milliers en France. J'espère qu'Apple finira par dépasser les casse-tête — compréhensibles — de marketing et fera lui aussi un effort pour tous ces Jean-Philippe, que ce soit en sortant la machine bien pensée pour ce public, ou en jouant un rôle dans l'organisation d'un marché de l'occasion du Macintosh.